S'il n'a pas encore eut droit à des éloges à la dimension littéraire qu'il a incarnée, deux décennies durant, Rachid Mimouni ne laisse guère indifférent. Vint et un ans sont passés depuis sa tragique disparition, en 1995. Jamais son œuvre n'a été si actuelle, autant mordante, interpellant une société dont il a fait la source principale de son écriture. Par le truchement de la direction de la culture de la wilaya de Boumerdès, le ministère de la Culture a organisé, dimanche dernier, à la maison de la culture de Boudouaou, une rencontre sur la vie et l'œuvre de l'auteur du « Fleuve détourné », à laquelle a pris part un panel d'écrivains, éditeurs, traducteurs, universitaires, étudiants... L'occasion a été, pour les participants, d'aborder, à travers ses différentes formes, la trajectoire d'un écrivain que d'aucuns placent parmi des plus grands noms de la littérature algérienne, aux côtés de Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, Mohamed Dib, Tahar Ouettar, Abdelhamid Benhadouga... Ami de longue date de Mimouni, le romancier et critique littéraire, Djilali Khellas, n'a pas tari d'éloges sur celui qu'il qualifie de « grand écrivain ». « Avec Tahar Djaout, Merzak Bagtache, moi-même et d'autres encore, soutient-il, nous formions la génération des années quatre-vingt qui a succédé aux grands classiques ». L'auteur de « Une mer sans mouettes », fils de Boudouaou, était porteur d'une vision à travers laquelle il « décortiquait la société de l'après-indépendance ». « Mimouni a toujours dénoncé le mal, le terrorisme. C'était un homme d'autant plus courageux qu'il n'a quitté le pays que sous la coupe de sérieuses menaces de mort contre sa personne et sa famille, proférées par les terroristes », souligne-t-il en rappelant l'engagement de l'auteur de « Tombéza », notamment au sein de l'Union algérienne des écrivains libres, structure réunissant, dans la foulée des évènements d'octobre 1988, plusieurs hommes de lettres en rupture de ban avec l'Union nationale des écrivains algériens. Il rappelle, également, l'implication de son ami dans le lancement, au début des années 90, d'une revue littéraire intitulée « Le Roman » dans laquelle collaborait Tahar Djaout, Brahim Brahimi... Traduction à la traîne Le constat est là, implacable : en dépit de la qualité esthétique et dramatique de son œuvre, Rachid Mimouni est très peu traduit, notamment dans la langue arabe. Pour avoir traduit une de ses nouvelles, « Le Manifestant », publiée dans le recueil « La Ceinture de l'ogresse », Mohamed Sari, écrivain, traducteur et professeur de littérature à l'université, a fait savoir que seuls trois romans de Mimouni ont fait l'objet de traduction, à savoir « Tombéza » (Laphomic), « Le Fleuve détourné » (par Abdelhamid Bourayou pour le compte de la wilaya de Boumerdes) et, enfin, « L'honneur de la tribu », par le romancier Lahbib Sayah dans le cadre d'une entreprise commandée par la Bibliothèque nationale. « Mais ça reste un travail assez faible vu la valeur de cette grosse œuvre » regrette l'universitaire en louant, néanmoins, certaines tentatives qui émergent petit à petit. Il cite l'exemple de Chihab éditions qui œuvre actuellement pour la traduction de la totalité des publications de Mimouni. Concernant la langue amazighe, louable est en effet l'engagement d'une maison d'édition, « Lalla Moulati » qui travaille actuellement sur la traduction de « Tombéza » en tamazight. Du pain sur... les planches Au quatrième comme au septième art, les textes de Mimouni ont été très peu sollicités, malgré l'unanimité autour de leur esthétique. Seuls y ont osé le réalisateur, Mahmoud Zemmouri, avec son film « L'honneur de la tribu », et le dramaturge, Omar Fetmouche, qui réalisa, en 2007, une pièce « Le Fleuve détourné » : « J'ai eu le bonheur de connaître mon ami Rachid qui participait souvent aux conférences sur le théâtre que nous animions à Boumerdes ou à Bordj Menaiel. Nous avons beaucoup parlé d'adaptation des romans et le sujet semblait l'intéresser », se souvient l'ancien directeur du théâtre régional de Bejaia qui, bien des années plus tard, en 2007, adapte le « Fleuve détourné ». « C'était un engagement moral à la mémoire du défunt », lance-il en mettant l'accent sur la qualité du roman qui présente « une structure dramatique assez élaborée ». La pièce avait remporté, la même année, le premier prix du Festival national du théâtre professionnel à Alger ainsi que le prix du Jury au Festival du théâtre arabe à Amman, en Jordanie. « Je remercie sa famille, sa femme et son grand fils qui nous ont cédé les droits. Il s'agit d'un acte très généreux au profit du théâtre et de la littérature. Ils m'ont exigé que le spectacle soit bien diffusé, surtout pour les lycéens », poursuit-il en assurant que la promesse a été largement tenue. Fort de ce succès, Omar Fetmouche espère mettre en scène « L'honneur de la Tribu », projet sur lequel il travaille actuellement. Loin du monde des planches, Youcef Immoune, professeur à l'université Alger 2 a, lui, opté pour le grand et virtuel monde de l'Internet pour mettre en lumière la riche documentation publiée sur Mimouni. « J'ai essayé de recouper tout ce qui se disait à son sujet. Les articles de presse. Un accueil très favorable. Toute cette nébuleuse a pu reconstruire le récit de Mimouni », résume-t-il.