L'usage outrancier du napalm a fini, à la longue, par rayer de la carte de grandes aires forestières. Un précieux patrimoine naturel qui rehaussait, des millénaires durant, la beauté des massifs et collines de notre pays. L'une des espèces fragiles rescapées de la sauvagerie aveugle coloniale est le chêne-liège, dont la surface de son habitat originel a été estimée au début des années 1950 à plus de 400.000 ha. Bien que la Direction générale des forêts et ses démembrements au niveau local tentent tant bien que mal de reconstituer ses aires de répartitions de jadis, force est de constater que sa présence est réduite presque de moitié par rapport à la première moitié du siècle dernier. Sauver ce patrimoine de la dégradation est devenu, par voie de conséquence, un axe prioritaire de la stratégie de développement que fait sienne la Direction générale des forêts. Régénération face à la menace Son importance sur le plan économique et écologique est telle qu'un plan de sauvegarde et de repeuplement de l'espèce a été mis en œuvre. Seulement sa préservation n'est pas une entreprise aisée, tant les contraintes à juguler sont, à la fois, diverses et pesantes. Toujours est-il, l'ennemi le plus redoutable du chêne-liège, à l'instar des autres espèces, est le feu. « Déjà, durant la révolution nationale, la surface globale de notre subéraie a subi un rétrécissement important à cause des incendies dévastateurs provoqués, notamment, par l'usage du Napalm. Après l'indépendance, nous avons vécu également des épisodes de grands incendies, à l'instar de celui de 1983. Ces feux cycliques sont des facteurs ravageurs qui réduisent de façon significative les aires du chêne-liège », confie une source aux services des forêts. L'autre facteur pouvant impacter directement le bon équilibre de l'environnement vital du chêne-liège est les changements climatiques. Ainsi, tous les experts en la matière sont unanimes pour dire qu'on assiste ces derniers temps à un glissement intra-étage bioclimatique, en passant dans certaines régions d'un climat subhumide à hiver doux à un climat subhumide à hiver chaud. Une transition contraignante pour le développement de l'espèce qui nécessite, en effet, pour son épanouissement des conditions et des prédispositions spécifiques. Sa régénération rendue ainsi difficile dans des conditions climatiques à la limite du seuil critique, cadencées variablement par des plages de sécheresse, est accentuée par un autre phénomène insoupçonné. L'envahissement de son habitat naturel par d'autres espèces plus résistantes, telles que le pin d'Alep, est une autre menace qui n'est pas des moindres. Pour autant, rien n'est encore perdu, selon un responsable des services des forêts. « Classer la préservation et le développement de l'espèce du chêne-liège, qui passe par définition par la reconquête, du moins d'une grande partie de ses aires de répartition originelles comme une priorité dans la stratégie de développement tracée par la direction générale des forêts, traduit une réelle volonté sous-tendant la valorisation de la subéraie nationale et par extension permettre à l'Algérie de devenir un pôle prépondérant en la matière dans la région du pourtour méditerranéen », prévoit le même responsable. Concrètement et à en croire l'interlocuteur en question, cette volonté se traduit déjà sur le terrain par le repeuplement de plusieurs aires. Selon lui, la mise en terre de milliers de plants, issus de la pépinière de la wilaya de Skikda dans les forêts de cette wilaya et de celle de Jijel entre autres, a été une expérience concluante, puisque le taux de réussite de l'opération a dépassé dans bien de cas les 90%. Un rapport extrêmement positif qui augure des horizons cléments pour l'espèce, et ce, malgré les contraintes liées à l'action anthropique et aux aléas climatiques. Le rétablissement de la paix et l'amélioration significative de la situation sécuritaire après la décennie de la tragédie nationale ont été en quelque façon salutaires pour la régénération de l'espèce. Alors que les massifs et les grandes surfaces forestières respirent la paix, les équipes des conservations et des districts des services forestiers ont repris, dans la quiétude, le chemin menant à de nombreuses zones boisées restées impénétrables durant la décennie noire. Grâce donc au recouvrement de la sécurité, les forêts sont mieux entretenues et la sylviculture se pratique normalement, au grand soulagement du règne végétal. A terme, l'objectif est de doper la production nationale en liège qui a connu un déclin. Produit destiné à l'exportation, donc source de devises, le liège algérien est réputé pour sa qualité supérieure qui peut s'imposer facilement sur le marché international. La subéraie, entre contraintes et réalité en chiffres Dans la wilaya de Tipasa, les aires du chêne-liège occupent une superficie équivalente à 7,98% du domaine forestier global. Du moins, c'est ce qui ressort des dernières statistiques établies par la Conservation des forêts de la wilaya. Un taux bien inférieur aux superficies occupées respectivement par le pin d'Alep, le chêne vert et les maquis. En tout, la forêt à Tipasa s'étend sur un peu plus de 23% de la superficie totale de la wilaya, répartie d'une manière inéquitable sur le territoire de la circonscription. C'est, en effet, dans les régions ouest et sud-ouest de la wilaya qu'on recense les surfaces densément boisées, notamment sur les massifs de l'arrière pays, et à un degré moindre, sur la bande littorale. Avec plus de la moitié, c'est-à-dire 55,69% de la surface totale, le pin d'Alep est l'essence qui est la plus répandue, viennent ensuite les maquis et le chêne vert avec un fonds identique de 17,01% chacun. Comme l'indiquent ces statistiques, les aires de répartition du chêne-liège sont les moins importantes, voire presque marginales. Concentré essentiellement dans les régions occidentales de la wilaya, on retrouve le chêne-liège particulièrement à l'état pur dans les forêts d'Aifer, Menaceur, et en association avec le pin d'Alep à Beni Habiba, Sidi M'hamed, Tazrout Hassen et Larhat et à Bouharb. Espèce dense, mais... A l'instar des autres subéraies du pays, celles de Tipasa ont subi directement le stress dû au glissement de l'étage bioclimatique subhumide à variante douce à subhumide à variante chaude. Outre le fait que la densité de l'espèce dans les subéraies à travers les forêts de la wilaya est faible, atteignant dans les meilleurs des cas 150 sujets à l'hectare, il y a lieu de noter que des facteurs de nuisance pèsent lourdement sur la pérennité de ce patrimoine en déclin. « L'épanouissement normal du chêne-liège est tributaire d'une somme de conditions essentielles », indique Mokrani Amel, conservateur divisionnaire au niveau de la Conservation des forêts de la wilaya de Tipasa. Selon cette dernière, le chêne-liège est une essence héliophile qui exige une forte insolation et pousse sous les climats tempérés, dont la moyenne des températures du mois le plus chaud, doit osciller entre 24 et 26 degrés. « Aussi, est-ce une essence xérophile qui nécessite une humidité atmosphérique, d'au moins 60%, même en saison sèche et un apport pluviosité annuel égal ou supérieur à 500 mm », complète-elle. Avec le phénomène du réchauffement climatique qui va en s'aggravant ces dernières années, force est de constater que le chêne-liège est de plus en plus menacé dans son habitat originel. Toujours est-il, les feux de forêt demeurent l'ennemi numéro 1 des subéraies. A titre d'exemple, 1.504 ha de forêt de chêne-liège ont été décimées par les incendies entre 1998 à 2001. A cette hécatombe, s'ajoutent les grandes pertes subies par le domaine forestier suite aux feux survenus en 2012. Ainsi, la dévastation engendrée par les incendies est telle que la régénération de l'espèce est dans bien des cas compromise. Agressions et pratiques illégales Concurrencé dans ses aires par le pin d'Alep et le chêne vert, le chêne-liège arrive difficilement à repeupler son territoire touché par les feux. « Le pin d'Alep, à titre illustratif, est une essence réputée pour être dynamique et plus rapide à coloniser les surfaces dégradées. Ce phénomène d'enrésinement a des effets contraignants pour le processus naturel de la reconstitution du fond subéricole », explique la même responsable. L'action anthropique est aussi montrée du doigt. Le défrichement de parcelles de forêt, les constructions illicites, le surpâturage et la coupe illégale de bois sont, entre autres, les menaces qui pèsent toujours sur le chêne-liège. L'un des exemples les plus édifiants de l'empiètement sur le territoire des subéraies est le cas de Zadra, où dès 1981, des constructions illicites commençaient à y être réalisées. « Le chêne-liège est aussi prisé pour son bois qu'ont transforme en charbon. A Bouharb par exemple, nous avons interpellé une personne qui s'adonnait à cette pratique illégale », cite Amel Mokrani en exemple. Selon un rapport de la Conservation des forêts datant d'il y a quelques années, il ne subsiste de la forêt du chêne-liège, dont l'aire s'étalait bien au-delà de son territoire actuel, que des vestiges attestant de son existence passée. Les incendies répétés ont laissé place à des maquis plus ou moins denses par endroits et à des pinèdes.