Il s'agissait de rappeler que l'homme demeuré vivant aurait célébré son centenaire de sa naissance, le 28 décembre 1917. Malika Fatima Boukhelou, enseignante à l'Université de Tizi Ouzou, qui lui a consacré sa thèse de doctorat, qualifie son personnage d'intellectuel atypique, dans le contexte algérien tout au moins. Selon elle, « Mouloud Mammeri, loin de vivre détaché de sa société, comme le font la majorité de ses pairs, s'est, au contraire, pleinement impliqué dans toutes les pulsations qui l'animent, allant parfois jusqu'à la « brutaliser ». L'écrivain-chercheur, selon la conférencière, s'est très tôt éveillé à la problématique qui va ponctuer toute sa trajectoire et ses nombreux écrits. A vingt ans, dit-elle, il est déjà auteur d'un article sur la société berbère, et en 1952, il publie son premier roman, « La colline oubliée ». Incompris dans sa démarche, cela lui vaudra les critiques d'un Lacheraf et d'un Mohamed Cherif Salhi, obnubilés par les exigences du combat nationaliste. Cela n'empêchera pas Mammeri de mettre sa plume, au déclenchement de la lutte armée, au service du mouvement de libération. Inquiété par les autorités coloniales, il dut s'enfuir au Maroc, un épisode qu'il racontera plus tard dans « L'opium et le bâton », premier roman à être porté à l'écran en Algérie. A l'indépendance, Mammeri enseigne à l'Université d'Alger où il tentera de maintenir en vie une chaire de berbère indésirable, dirige le CRAAP et même, un moment, l'Union des écrivains algériens qu'il quittera, peu enclin à porter le costume de l'intellectuel organique. Car, et c'est en cela que qu'il est atypique, Mammeri fait des recherches, écrit et porte le débat sur la scène publique. C'est d'ailleurs à la suite d'une interdiction d'une de ses conférences à l'Université de Tizi Ouzou que se déclenchent les évènements du Printemps berbère en avril 1980. « Rarement l'Afrique du Nord n'aura une telle figure de l'amusnaw (l'intellectuel), qui rend la parole publique, soulignant la permanence de son engagement à faire entrer les siens dans l'Histoire, en revalorisant son patrimoine culturel, en tentant de doter la langue amazighe d'une graphie qui la sortirait de son « autisme » et la rendrait audible pour le monde entier. De fait, Mammeri écrit dans toutes les formes littéraires, outre son travail d'anthropologue et de linguiste, s'attelant sans relâche à déterrer et enrichir les trésors de la culture amazighe. Sa tragique disparition dans un accident de la route, au retour du Maroc, ne l'a fait que grandir dans l'estime de son peuple. Enterré dans sa colline oubliée, à Taourirt Mimoun, en présence de plus de 200.000 personnes, Mouloud Mammeri est en effet devenu une icône du combat pour la reconnaissance de la culture et de la langue amazighes. « En tant qu'ethnographe, il avait le souci de donner une graphie à la langue berbère pour la faire passer de l'oralité à l'écriture », a-t-elle souligné, notant que l'intellectuel qu'il était avait les ressources nécessaires, notamment son érudition, sa maîtrise de plusieurs langues et le fait d'avoir évolué, tout enfant, dans un milieu lettré et intellectuel. Il était en avance sur son temps », a-t-elle conclu.