Photo : Fouad S. Le CRSS, Centre de recherche stratégique et sécuritaire, a eu la main heureuse en invitant hier le sociologue Mohamed Djouili de l'université de Tunis pour évoquer et analyser les événements qui secouent son pays. Le centre, né en décembre dernier, vient ainsi d'inaugurer de fort belle manière ses activités bimensuelles. Le prochain invité est d'ores et déjà connu. Il s'agit du responsable de la revue française La défense nationale. Le centre s'apprête aussi à éditer une publication dédiée aux études et recherches. UNE PLACE AU SHOW «Nous avons connu une révolution post-moderne dans la mesure où les contestataires ne se sont retrouvés derrière aucun syndicat ou parti. La jeunesse s'est appuyée sur la toile où elle a mené un débat public». L'autre caractéristique de cette révolution qui ne se veut pas un modèle d'exportation selon le conférencier est de rompre avec les modèles austères, rigoureux connus jusque-là. «Elle ménage une place au spectacle, au show». Un modèle qui relève de la logique de «la peopolisation» connue en Europe et dont il récuse l'appellation jasmin «une expression des médias français refusée en Tunisie», est de ne pas avoir de leaders ni de slogans fédérateurs. «Tout s'est passé vite et l'individualisme a pris une place importante comme éléments déclencheurs». Pour le conférencier qui se référera à plusieurs reprises au sacrifice de Mohamed Bouazizi «le temps semble révolu où seuls des raisons d'ordre matériel peuvent déclencher une révolution mais l'élément symbolique, l'estime de soi peuvent allumer la mèche». Le moteur de l'histoire selon lui «n'est pas seulement des revendications d'un syndicat, d'une classe mais s'alimenter à l'égocentrisme à des volontés personnelles qui cherchent, qui se fédèrent». Il n'a pas hésité à parler d'un aspect ludique en se référant aux expressions «Game is over» et «dégage» liées la première à la play-station et la seconde au football. LEÇONS D'UNE REVOLUTION Il expliquera ensuite que les signes avant-coureurs étaient là depuis des années. «Après la révolte dans le bassin minier de Gafsa, les affrontements de Benguerdane près de la frontière libyenne, le phénomène des émigrés clandestins et l'apparition des supporters ultras, la preuve était faite que la situation était loin d‘être satisfaisante» .Il expliquera, ensuite, que «la corruption et le clientélisme cantonnés dans deux familles commençaient à se diffuser dans la société». Il estimera, par ailleurs, que «la jeunesse qu'on disait dépolitisée, fan seulement de Star Academy, a montré qu'elle avait d'autres motivations et d'autres moyens différents de ce qu'on a connu auparavant pour clamer sa volonté de connaître le bonheur et un mieux être». Certes, il omettra de citer les révoltes qui ont secoué en mai 68 les pays d'Europe qui avaient également fait une place à ces notions subjectives de bonheur et de levée des interdits. Pour autant, dans les pays arabes, c'est la première fois qu'un tel phénomène se déploie. «M. Jouini tire plusieurs leçons de la révolte dans son pays. En premier lieu, les militants politiques devraient prendre en considération leur look sous peine d'être exclus du jeu politique. «Il faut surtout reconsidérer le rapport symbolique avec l'autorité quelle qu'elle soit». «Le régionalisme dont ont souffert les régions de l'intérieur ne doit pas se régénérer aux dépens cette fois-ci du Sahel».Enfin, tout en reconnaissant que les Islamistes sont un courant social et politique, il dira qu'ils «ne peuvent revenir sur certaines avancées comme le statut de la femme parce que Bourguiba qui avait un projet de société qu'on peut discuter a modernisé aussi la religion». L'autre handicap pour cette mouvance est qu'elle ne peut pas compter sur les réseaux caritatifs pour apporter des réponses à la demande sociale». «Certains ont peur d'eux alors qu'eux-mêmes ont peur vu leur manque d'expérience en matière de gestion», fera remarquer le conférencier. En somme, le pari est de pouvoir diluer le discours islamiste dans le jeu démocratique, enjeu vital qui dépasse ce petit pays.