Toute démocratie est un système imparfait mais le moins mauvais des systèmes, dit-on. Le multipartisme et même les élections ne sont pas des critères suffisants pour clamer que tel ou tel régime répond à ses canons. L'Algérie a prouvé en 1991 que celles-ci ne sont pas la panacée. Elles peuvent ouvrir la voie à la tragédie dont le pays n'a pas encore fini de payer la facture. A moins de retomber dans les travers du populisme, les révoltes populaires ne sont pas toujours et partout l'antichambre de la quiétude et de la prospérité. A la faveur des événements qui secouent certains pays, le recours à la rue pour régler des questions politiques est perçu comme le miracle qui réglerait tous les problèmes. Si l'expression dans l'espace public nourrit la démocratie qui ne peut s'accommoder de trop d'interdits, elle ne peut se substituer aux mécanismes classiques d'accès et d'alternance au pouvoir. Depuis des siècles, la rue influe mais ne substitue nulle part aux Parlements qui ont pour mission de légiférer et de prendre en charge les problèmes de la société. L'exemple le plus récent est celui du débat sur la retraite en France. Le pouvoir public n'a pas plié face au diktat de la rue. Celle-ci est un lieu d'interpellation, un espace de contestation et non de propositions inspirées par des humeurs farfelues. L'Algérie n'est sans doute pas une démocratie dans le sens où ce mot est utilisé en Occident encore que même ses politiques et ses penseurs jugent le concept en crise. Elle est loin d'être une dictature dans la mesure où comme il a été rappelé récemment des détenus d'opinion ne croupissent pas dans ses prisons. La comparaison entre la liberté de ton de la presse nationale et celui de nos confrères tunisiens pourrait être aussi un étalon de mesure. En phase d'apprentissage, le pays ne peut atteindre en un laps de temps relativement court le niveau des pays les plus avancés. Bien évidemment, les thuriféraires de la «révolution ici et maintenant», ceux-là mêmes qui avant Octobre 88 n'étaient pas d'un grand soutien aux militants de la démocratie estimeraient que les élections relèvent de la fraude. La boucle est ainsi bouclée. Nous sommes dans une sorte de géométrie où chacun bâtit une construction à partir de l'axiome qu'il s'est choisi. Les sociétés dans le monde arabe sont fragiles. Elles n'ont pas encore soldé le compte avec l'extrémisme religieux qui même dans un pays comme la Turquie ancrée dans la laïcité relève la tête. La peur de la résurgence de l'extrémisme n'est-il pas une interrogation récurrente après ce qui se passe en Egypte et en Tunisie ? Nous n'avons pas affaire, d'un côté, à des gouvernants liberticides et, de l'autre, à des populations avides de liberté. Les mouvements révolutionnaires, comme il a été prouvé en Russie, en Iran où des centaines de ceux qui rêvaient de lendemains meilleurs furent immolés, n'accouchent pas toujours de celle-ci. Que des pouvoirs prennent prétexte de la lutte antiterroriste pour prendre des mesures cœrcitives est un fait. A partir de ce constat, on ne peut pas pour autant gommer toutes les fragilités et les risques dans des sociétés marquées par des schismes de type culturaliste qui expliquent par exemple que dans notre pays les projets de société sont diamétralement opposés. Le radicalisme est un mauvais conseiller en politique. A des révolutions, beaucoup préfèrent des réformes, à l'école et par la création d'un tissu économique. Elles finissent par produire d'elle-même des sociétés avides de progrès et réfractaires à l'autoritarisme. L'admiration éprouvée par de nombreux Algériens pour la maturité et l'ouverture des jeunes en Tunisie y trouvent son origine. L'agitation n'est pas toujours garante de l'efficacité. Quand elle dépasse son rôle d'aiguillon, elle risque de fragiliser les acquis d'une démocratie encore balbutiante par la faute de ceux-là mêmes qui faillirent l'enterrer. En s'appuyant sur les clameurs de la rue.