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De la nécessité au professionnalisme
Mendicité à Alger
Publié dans Horizons le 25 - 06 - 2016

Durant le ramadan, les Algérois comme partout ailleurs à travers le pays, mettent la main à la poche en accompagnant ce geste par des prières. Et les mendiants se frottent les mains face à cette générosité. C'est leur traite. En ce mois béni de Ramadan, Alger assiste à un véritable déferlement de mendiants. Ils sont présents dans les rues de la capitale à la recherche de leur pain quotidien qui dépend de la générosité des autres. De tous les âges, de tous les sexes et de toutes les catégories, ils sont partout dans les grands axes de la capitale. Sébiles à la main, les aveugles, les handicapés, les personnes âgées, les enfants et surtout les réfugiés occupent les coins stratégiques de la capitale et abordent les passants en exposant leurs conditions de misère pour susciter ainsi apitoiement. Les mendiants arpentent les rues commerçantes, les grandes artères, investissent marchés, centres commerciaux ; ils sont devant les administrations, les arrêts de bus et surtout les feux tricolores : ils sont mis en concurrence durant ce mois béni par une nouvelle catégorie de mendiants. Il s'agit de vrais bras valides qui ont décidé d'investir le marché lucratif de la mendicité. C'est un business qui attire pratiquement tout le monde.
Il n'y a, d'abord, pas d'âge pour mendier, a-t-on constaté. Le phénomène a dépassé toute génération. Le fait de tendre la main pour demander l'aumône ne fait plus rougir de nos jours, comme au bon vieux temps, où il était difficile même pour les plus intrépides de quémander une miche de pain. Vieux, jeunes ou enfants, cela importe peu pour ceux qui tirent profit du phénomène. Comme partout en Algérie, la mendicité a atteint des seuils intolérables. « Devant la hausse du taux de chômage, il reste peu de chance aux jeunes et encore moins aux pères de famille, de dénicher un poste de travail salutaire », a témoigné un adulte, mendiant avec un petit garçon à ses côtés, sur la grande artère de la place Maurice-Audin. « Les femmes et les jeunes filles n'en sont pas épargnées », a-t-il ajouté, estimant que pour celles qui hésitent de tendre la main pour une raison ou une autre se voient contraintes d'investir d'autres créneaux aussi vils et plus dangereux telle la prostitution.
Une « profession » qui rapporte
La mendicité est une « profession » qui rapporte vraisemblablement bien. Un business juteux qui s'organise dans une économie souterraine florissante et aux tentacules multiples, notamment dans la périphérie et les quartiers nécessiteux de la capitale. Les mendiants jouent sur l'aspect émotif des gens. Souvent en gênant les âmes charitables pour les pousser à mettre la main à la poche en usant d'une stratégie de marketing émotionnelle. D'autres, portant des haillons, pieds nus, la main tendue et tordue, l'air triste et dédaignable, se font passer pour des handicapés, physiquement et mentalement, afin d'attendrir les passants. Le montant du pactole varie également d'une machine à sous (âme charitable) à une autre. En moyenne, la bonne recette de « la manche » quotidienne varie entre 2.000 et 3.000 DA. Les mendigots œuvrent souvent dans les coins les plus féconds, en termes de victimes potentielles, de la capitale : les boulevards et rues, devant les mosquées, les stations, les cafétérias, les restaurants et les jardins publics. On est loin de l'ironie déplacée et inconvenante, les faits montrent que la capitale regorge de mendiants attirés par l'appât de l'argent facile. Passant pour de faux handicapés, ils usent d'un vocable attendrissant qui gêne les passants en les incitant et en les poussant à mettre la main à la poche. En cas d'échec, ce même vocable se transforme en un langage vulgaire et insultant. D'autres, plus professionnels, et de la vieille école, exploitent les bébés. Autrement dit, la mendicité n'est plus un simple et unique phénomène socioculturel. Il s'agit, également, d'un business qui répond à un organigramme hiérarchique et basique.
En plus des mendiants solitaires, dans certains cas de figure, les mendiants s'organisent dans le cadre d'un groupe dirigé par un leader. Ce dernier assure le dispatching de son staff en procédant à un découpage géographique du territoire, a-t-on appris auprès de l'un d'eux. Après un briefing, le groupe se disperse, chacun pour une zone bien déterminée. Or, s'il est vrai que les quartiers de la capitale sont les plus abordables, les marchés hebdomadaires, les souks, dans un bon nombre de régions font également courir les mendiants. Ce découpage répond à une double finalité : soit d'atténuer les rivalités entre les frères du même métier d'un côté soit, d'augmenter, exponentiellement, les revenus d'un autre.
A présent, on ne sait même plus qui quémande et qui reçoit de la charité, dans les rues d'Alger. Ces faux mendiants qui s'enrichissent à vue d'œil trahissent la prolifération d'un commerce juteux et rentable et faussent l'image des vrais nécessiteux qui s'abstiennent, pourtant en toute dignité, de tendre la main. Pour les âmes généreuses, toute la difficulté réside à distinguer le vrai nécessiteux de l'imposteur.
L'aumône n'est pas demandée, elle est exigée
D'un autre côté, il est vrai aussi que la majeure partie des mendiants qui peuplent les rues et envahissent les trottoirs pour « exiger » l'aumône aux passants, s'adonnent à cette pratique non pas par nécessité ou besoin absolus mais par une sorte de délectation ou habitude lucrative. Autrefois, c'était aux seuils des boulangeries que les personnes démunies prenaient place dès la première heure de la matinée. Leur seul souci était de ramener quelques baguettes de pain le soir, juste de quoi nourrir la famille. A l'époque, contrairement à ce qui se produit aujourd'hui, l'argent n'était pas un objectif ou une fin en soi. Ceux qui le demandaient, prenaient leur courage à deux mains et avaient de solides raisons pour le faire. De nos jours, par contre, cette déontologie est loin d'être respectée. Les gens de bonne foi et les âmes charitables ne savent plus à quel saint se vouer et vivent souvent des situations cornéliennes en présence de personnes douteuses demandant l'aumône, car le fait de tendre la main a fini par s'ériger en un véritable métier dont l'exercice, n'exigeant aucune qualification ou qualité, est ouvert à tout le monde.
Les Algérois se plaignent de plus en plus de l'obstination des mendiants qui n'hésitent plus à presser leurs « victimes » avec une insistance qui frise parfois le harcèlement. « Il y a des manières de demander l'aumône. Je crains que la mendicité ne soit devenue un vice », soutient vivement une jeune étudiante, ajoutant qu'« il y a des gens qui mendient par besoin tandis que d'autres abusent de la gentillesse d'autrui ». D'autres trouvent dramatique qu'une vieille dame soit réduite à mendier du matin au soir pour « subsister ».
Les enfants exploités
Les enfants, cette catégorie fragile et innocente, n'échappe pas, elle aussi, aux filets de la mendicité. Accompagnés d'adultes ou seuls, certains sillonnent la ville à longueur de journée pour faire la manche. Nombreux sont ceux qui s'activent dans le centre-ville, devant les mosquées ou au nioveau de la gare routière où les voyageurs sont nombreux. Face à la gare routière du Caroubier, trois gamines âgées entre 10 et 13 ans, accompagnées parfois par un petit garçon âgé de 6 ans. Munies de sac à semoule vides, les petites descendent chaque matin dans la gare routière où elles passent le plus clair de leur temps à tendre la main aux passagers et aux voyageurs. Une fois devant l'arrêt de bus, le petit groupe se disperse et chacun va quémander de son côté. Pour esquiver à l'idée rçue du besoin, quand ils ne sont pas à l'école comme les autres enfants, ils s'affairent à ramasser les déchets recyclables pour les céder à un prix dérisoire. Ces enfants, pour la plupart sont privés de scolarité.
Des nourrissons sont également entraînés avec ces mendiants pour mieux exciter les faveurs des passants les plus circonspects. Une grande majorité de ces enfants n'ont pas de relations de parenté avec les personnes qui les accompagnent. Ils sont loués pour environ 300 DA à 500 DA la journée et souvent drogués pour les inciter à pratiquer la mendicité pour qu'ils ne gênent pas les personnes qui les exploitent, a-t-on appris. Et les techniques de mendicité sont chaque jour davantage affinées. Et les professionnels de ce « métier » lucratif ne reculent devant rien et n'ont aucun scrupule pour assouvir leurs desseins. Les professionnels de la manche n'ont ni morale ni foi.


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