Dans la résidence de Fethullah Gulen, située dans la ville de Saylorsburg de l'Etat de Pennsylvanie, la deuxième manifestation du genre en 2 semaines conforte le processus de « dégülenisation » entamé par les purges massives dans l'armée, la police, la magistrature, l'éducation, l'université et la santé. Pour symbolique qu'elle soit, elle traduit néanmoins la volonté d'Erdogan de pousser dans ses derniers retranchements son principal rival menacé d'extradition tributaire, selon Washington, de preuves tangibles de son implication dans le coup d'Etat. A Istanbul, le rassemblement imposant, qui devait conclure les 3 semaines de mobilisation, a constitué également une démonstration de force qui marque à la fois le soutien populaire incontestable et le ralliement de l'opposition, à l'exception notable du parti pro-kurde HDP qui n'a pas été invité en raison de ses liens présumés avec le PKK. Transmis par écran géant dans 80 provinces, la manifestation placée « au-dessus des partis », considérée seulement comme « une virgule », a réuni, dimanche dernier à Yénikapi, sur les bords de la mer de Marmara, des centaines de milliers de Turcs, voire jusqu'à trois millions selon les journaux progouvernementaux. Encadrée par plus de 15.000 policiers, le gigantesque rendez-vous stambouliote se veut un hymne à la mémoire des 239 « martyrs » dont les familles étaient présentes sur l'esplanade de Yénikapi. Adossé à une légitimité populaire et politique, le triomphe absolu d'Erdogan se pare d'une défiance contre l'Occident exacerbée par l'option du rétablissement de la peine de mort abolie en 2004 et de nature à compromettre le fragile processus d'adhésion à l'Union européenne. Ensuite, les tensions entre la Turquie et l'Occident s'accompagnent d'un rapprochement perceptible avec la Russie de Poutine. Déçu par le lâchage de ses alliés de l'Otan, Ankara se tourne vers Moscou privilégiant la main tendue et dénonçant sans hésitation aucune le coup d'Etat, la réconciliation turco-russe est en marche. Elle se renforce par la visite d'Erdogan qu'il doit effectuer, aujourd'hui, à Saint-Pétersbourg, pour tourner la page tumultueuse de la destruction, en novembre 2015, d'un avion de combat russe par la chasse turque. Le premier pas a déjà été fait par Erdogan présentant ses « regrets » et soucieux de parer aux sanctions russes affectant les échanges commerciaux en chute drastique, le tourisme dont les arrivées des Russes se sont effondrées et le projet de gazoduc devant acheminer quelque 31,5 milliards m3 par an en Turquie via la mer. Cette « occasion en or » est perçue comme une normalisation dictée par le poids des intérêts commerciaux et stratégiques des deux pays. « Ce que nous allons voir est une relation plus durable mais de type plus pragmatique, non pas construite sur une relation personnelle ou idéologique, mais sur des intérêts pratiques communs », a souligné le chercheur Alexander Baunov, du Centre Carnegie de Moscou. Le triomphe d'Erdogan peut s'apparenter à une victoire diplomatique russe.