Le parti du président turc, Recep Tayyip Erdogan, va pouvoir s'atteler seul à la formation d'un gouvernement après sa victoire écrasante aux élections législatives anticipées. Déjouant les pronostics le Parti de la justice et du développement d'Erdogan a retrouvé sa majorité absolue, perdue en juin, en recueillant 49,4% des suffrages, raflant ainsi 316 des 550 sièges au Parlement. Une véritable revanche après le revers retentissant du 7 juin, lorsque son parti avait subit une débâcle en perdant le contrôle en cours depuis 13 ans sur le Parlement. Autre surprise, le Parti démocratique des peuples (HDP, pro-kurde), entré triomphalement au Parlement en juin, ne dépasse que de justesse le seuil minimal de représentation (10,7%, soit 59 sièges). Des résultats qui ont d'ailleurs provoqué des affrontements entre forces de l'ordre et militants kurdes à Diyarbakir, la grande ville du Sud-est à majorité kurde. La victoire est en effet surprenante. La quasi-totalité des sondages créditait l'AKP de modestes intentions de vote, insuffisant pour gouverner seul. Les turcs en ont décidé autrement. «La peur de l'instabilité en Turquie, ajoutée à la stratégie d'Erdogan se posant en homme fort qui peut vous protéger, l'ont emporté», estiment certains analystes. Depuis les législatives du 7 juin, le climat politique s'était considérablement alourdi en Turquie. En juillet, le conflit opposant les rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) au pouvoir turc (près de 40 000 morts depuis 1984) semble avoir de nouveau droit de cité, notamment dans le Sud-est du pays. Le fragile processus de paix engagé il y a trois ans menaçait quasiment d'éclatement avec le retour des actions armées. Avec des effets inéluctables sur l'urne. Entre le 7 juin et le 1er novembre, le HDP a perdu jusqu'à un million de voix. Les observateurs parlent des conservateurs qui auraient finalement opté pour «une Turquie stable». Il y a également la volte face des «rigoristes religieux et chefs de clans», qui s'étaient laissés séduire par le discours novateur et pacifiste du HDP en juin, et qui ont subitement, cinq mois plus tard, décidé de revenir vers l'AKP, pour lequel ils votaient toujours. La reprise des affrontements entre les séparatistes du Parti des travailleurs du Kurdistan et les forces turques, n'est sans doute pas étrangère à ce revirement de masse. En revendiquant l'assassinat de deux policiers turcs à Ceylanpinar, près de la frontière turco-syrienne, le 22 juillet, le PKK a mis le feu aux poudres et suscité l'inquiétude dans tout le territoire turc. Au moment où le HDP gagnait en légitimité, fort de son bon score aux législatives de juin, la rébellion kurde revenait quasiment à l'action armée. Pour certains observateurs le PKK est tombé facilement dans le piège tendu par l'AKP qui voulait justement que le mouvement kurde renvoit cette image de violence. Dans une Turquie subissant des soubresauts sur le plan économique, la sécurité devenait une ligne rouge. Aujourd'hui en ayant de nouveau les coudées franches au Parlement, le parti d'Erdogan devrait redoubler de pression pour imposer la volonté de son président : réformer la Constitution afin de donner au poste de Président un pouvoir réel. Il lui faudra pour cela une majorité plus large encore, ce qui prélude d'âpres manœuvres à venir. Les petites formations politiques au Parlement subiront indéniablement la pression du puissant parti au pouvoir afin d'adhérer à ses vues. L'épineux dossier syrien Erdogan occupe le poste de Président depuis 2014 après avoir été douze ans Premier ministre. Il ne fait pas mystère sur ses intentions de présidentialiser le régime turc. L'attentat-suicide perpétré il y a trois semaines à Ankara par deux kamikazes, et qui a fait 102 morts, avait ravivé la peur de la violence venue de la Syrie voisine. Dans une campagne tendue marquée par ces violences, Erdogan et Davutoglu se sont posés en sauveurs, sur le thème «Nous ou le chaos». Même si le courant passe mal entre Moscou et Ankara sur la crise en Syrie, difficile de ne pas voir dans la stratégie déployée par Erdogan une influence de la tragédie en cours chez le voisin syrien. La Syrie aura été en effet un piège pour Erdogan qui tablait sur la chute rapide du régime en Syrie. Il est évident que l'épineux dossier syrien restera prioritaire sur la table d'un Erdogan désormais ragaillardis par cette victoire éclatante sur le plan interne. Ceux qui pariaient sur une débâcle définitive de l'AKP avec ses inévitables effets sur la question de Syrie ont vite déchantés. Erdogan sort vainqueur et plus enclin pour affirmer ses ambitions internes et externes. En homme sans ambigüité il devrait poursuivre sa politique périlleuse envers ce dossier en soutenant «l'opposition» syrienne sur la même ligne que le Qatar et l'Arabie saoudite dans l'axe réfractaire au président Bachar Al-Assad. Jusqu'à quel niveau ? La politique d'Erdogan sur la tragédie syrienne reste empreinte de grands risques après les dernières évolutions. L'intervention de la Russie sur le terrain et les ajustements des occidentaux sur ce dossier comme l'acceptation de l'Iran en tant qu'acteur à part entière dans les négociations à Vienne ont bien changé la donne. M. B.