La contestation s'installe dans la durée dans un pays démuni et tenaillé par la menace terroriste d'El Qaïda, du séparatisme des sudistes et de l'état de belligérance chiite au Nord conclu par une trêve fragile. Enclenché depuis le 27 janvier, le mouvement de protestation des étudiants se renforce et prend de plus en plus d'ampleur. Cette mobilisation populaire est confortée par la démission des 8 députées du Congrès populaire générale (CPG) rejoignant les rangs des contestataires et le désaveu exprimé par les deux importantes tribus, les Hacheds et les Baqils, cautionnant le camp du changement. L'un des chefs des Hacheds, comptant 9 branches dont celle de Sanhane du président Ali Abdallah Saleh, a annoncé son retrait du CPG, alors que l'un de ses chefs suprêmes, Cheikh Hamid Ben Abdallah El-Ahamar, se présente en chef de file de la contestation, en sa qualité de dirigeant du mouvement islamiste El-islah. Le ver est dans le fruit. Lâché par ses alliés tribaux et ses fidèles, le régime de Saleh est-il en fin de parcours ? Telle semble être du moins la profession de foi de l'opposition proclamant, à partir de l'Université de Sanaa, « le vendredi du début de la fin ». Dans la prière collective, l'imam a ainsi affirmé que « la chute du régime était la seule sortie à la sortie actuelle ». Fouad Dahada, un député de l'opposition qui se définit comme « pas moins que les Tunisiens et les Egyptiens qui se sont émancipés » a déclaré que «la révolution a& commencé » et qu'elle « ne s arrêtera que lorsque nous aurons obtenu satisfaction sur toutes nos revendications. » La main tendue du président Ali Saleh n'a pas eu l'effet escompté. Son appel pour le dialogue et les assurances édictées en matière de protection de manifestants ont fondu comme neige au soleil dans ce vendredi sanglant opposant, à Aden, des jeunes prenant d'assaut un poste de police et la garde républicaine tirant à balles réelles (4 morts et 40 blessés dans les rangs des manifestants). A quelques heures de l'appel à la « vigilance », lancé, jeudi, par le ministère de l'Intérieur, l'explosion d'une bombe dans la ville de Lawdar a fait craindre le pire. La thèse de la présence d'un « groupe séparatiste », infiltré dans la marche grandiose (100.000 manifestants) a même été avancée. Mais, du Nord au Sud, le vent de la rébellion se propage. De Taez, l'autre foyer de contestation important, envahi par la foule débordant sur les trois boulevards de la province, à Saâda et à Moukala, la capitale du Hadramaout. A son paroxysme, la violence a fait irruption dans le quotidien des Yéménites partagés entre les adeptes du changement et les partisans du président présenté comme « le sauveur » et l'artisan de « l'unité nationale ». Le mur de la défiance a compromis les chances de la relance du dialogue national et le passage à une transition négociée et garantie par la décision du président yéménite de ne pas se présenter à la prochaine présidentielle et le rejet du Tawrith (succession héréditaire). Dans ce pays pauvre de 24 millions d'habitants, les raisons du soulèvement sont profondes et multiples. Elles sont le fait de la « variable économique » marquée par le chômage (35% de la population selon la dernière estimation), l'état de pauvreté extrême (plus de 45% de la population au dessous du seuil de pauvreté fixé à 2 dollars/jour) et la malvie. Dans la seule république de la péninsule arabique, les dérives antidémocratiques du régime, procédant à la fermeture des espaces d'expression à l'emprisonnement des journalistes et des opposants, ont contribué à alimenter le malaise grandissant qui a cumulé avec le détonateur tunisien et le catalyseur égyptien. Et l'après Ali Saleh ? Peur sur la péninsule.