On a beau palabrer, avec raison, de sa vétusté, de l'érosion de ses murs, chaque jour un peu plus, de l'exode massif de ses enfants ou de déplorer encore sa réhabilitation tatillonne, le fait est là, implacable : El Mahroussa demeure, quoi qu'on en dise, et quels qu'en soient les arguments, le cœur battant et le poumon d'une cité que les Amazighs des Beni Mezghenna avaient superbement érigée il y a plus d'un millénaire. De la vie intra muros, on en trouve moult expressions. A la veille de l'Aïd El Adha, une marmaille de gamins sillonne les ruelles dédaliques, traînant péniblement, du bout de la corde, les moutons du sacrifice. La joie est à son comble, et c'est tout le monde qui s'y met. A Bir Djebbah, à Sidi M'hamed Chérif, à la rue les frères Racim et partout ailleurs dans l'enceinte ancestrale, le décor du grand jour est planté. Une aubaine pour les quelques groupes de touristes nationaux et étrangers (essentiellement des Chinois et des Français) absorbés par l'originalité et l'architecture mauresque du lieu mais aussi par le savoir-faire de ses artisans. Nichée à l'entrée de la rue de La Casbah, l'atelier de Khaled Mahiout, l'un des plus anciens ébénistes du coin, interpelle le regard des visiteurs. Sa boutique est presque un musée, égayée à l'occasion par une nouba andalouse magistralement chantée par Hamidou. Outre les paravents, les miroirs, les couronnes et les portes dédiés aux amoureux de l'art des ancêtres, cette boutique unique en son genre offre à son monde l'une des vues les plus imprenables du site depuis la terrasse, ornée jusqu'au bout de la tradition. Loin de se contenter de proposer des œuvres finement sculptées, notre ébéniste fait office de guide touristique. Lui qui connaît jusqu'au moindre recoin sa Casbah natale. Le zazou de La Casbah tient ses hôtes par la main et par le cœur, les plonge dans le lustre d'une civilisation indélébile par ses douerettes, ses mosquées, ses palais, ses fontaines, ses artisans... Le revers de la médaille Combien sont-ils, aujourd'hui, les ambassadeurs de la culture mauresque, à l'image de Khaled Mahiout ? Peu nombreux, clame notre ébéniste qui ne cache pas son désarroi. « L'artisanat local n'intéresse plus les jeunes pour des raisons que je juge plus ou moins légitimes », regrette-t-il, avant d'asséner : « Le métier ne rapporte pas beaucoup. » Les raisons ? Elles sont multiples et complexes. Déjà privés d'un flux touristique dont ils dépendent de bout en en bout, les artisans de La Casbah souffrent, selon lui, de nombreux soucis liés aux impôts. Bien qu'ils aient bénéficié du soutien des pouvoirs publics. « Les impôts sont passés de 5.000 à 10.000 DA sans parler des autres charges notamment celles relatives à la Cnas », s'indigne-t-il, en qualifiant ceci de « dissuasif » pour tous ceux qui souhaitent investir dans ce créneau. Les artisans, les vrais, se plaignent aussi de la « manipulation » dont ils sont l'objet de la part de plusieurs associations pour qui ils sont « un fructueux fonds de commerce » à l'occasion des manifestations culturelles qui ont lieu ici et là. Khaled Mahiout ne se fait pas trop d'illusions. A moins d'une politique efficace et incitative, cette profession est vouée peu à peu au déclin, privant La Casbah d'un pan entier de son identité. Et ce malgré la formation assurée par de nombreux organismes nationaux et locaux, tels le centre Ourida-Meddad, la Chambre des métiers et l'APC de La Casbah. L'amertume de l'ébéniste est de loin partagée par l'écrivain Noureddine Louhal, qui revendique une bibliographie cossue dans le patrimoine culturel local (lire l'entretien ci-contre). Pour l'auteur des « Chroniques algéroises, La Casbah », la vieille médina a besoin d'un plan « Marchall » pour la préserver des affres de la dégradation. Une dégradation qui a raison des travaux d'urgence jugés peu efficaces, et par les habitants et par les architectes versés dans la protection du patrimoine. Objet d'un plan de sauvegarde qui n'a pas porté ses fruits, la réhabilitation de La Casbah d'Alger a été, sur décision du ministre de la Culture, Azeddine Mihoubi, confiée à la wilaya d'Alger qui a aussi tôt lancé un plan ad hoc. Entre-temps, les Kasbadjis désabusés par tant de « cafouillages » prient le ciel pour épargner à leur cité le destin fatal de nombreuses cités, à l'image de Tihert, El Achir, Tobna.