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Ces petits gestes fatals pour la nature
Retour sur ces feux de forêt dramatiques à Jijel
Publié dans Horizons le 20 - 09 - 2016

Les différents intervenants dans l'extinction des feux s'accordent à pointer du doigt la responsabilité de l'homme dans ce désastre. « Le facteur humain est responsable de 90% des feux de forêt déclarés. 80 à 90% de ces incendies sont volontaires alors que 10% sont accidentels », atteste Meassam El Wardi, ex-conservateur des forêts de la wilaya. « L'année dernière, un individu pris en flagrant délit a été mis en détention. Il s'est avéré qu'il souffrait de troubles psychiatriques. Cette année, nous avons constaté que les incendies se déclenchaient dans des endroits rapprochés, mais nous n'avons enregistré aucune arrestation », ajoute-t-il. Les causes des incendies sont multiples. Dans la plupart des cas, ils sont provoqués par les riverains. « Pour l'intensification et le renforcement de la végétation en prévision des pâturages, les riverains brûlent des surfaces, et il suffit d'un peu de vent pour que les flammes se répandent et fassent des ravages », explique-t-il. La prolifération des vendeurs de maïs est l'autre cause de l'ampleur prise par les feux. « Les jeunes s'installent partout. Après avoir écoulé leur marchandise, ils partent sans éteindre le feu. Un peu de vent, et c'est la catastrophe », regrette-t-il. Les chaleurs exceptionnelles enregistrées cette année ont également favorisé la propagation des incendies. S'ajoute à ces trois facteurs, l'utilisation excessive des feux d'artifice. « Les gens jettent en l'air ces artifices en toute inconscience. Ils ne s'imaginent pas qu'il suffit d'un peu de vent pour enflammer une forêt. Et c'est partie pour un nouveau drame », déplore-t-il.
Les forestiers, gardiens du temple
Quand un feu de forêt se déclenche, la première intervention émane forcément des agents forestiers. « 90% des détections de feu sont l'œuvre des forestiers grâce aux postes vigiles ou aux brigades mobiles mobilisées en été », indique El Wardi. Dès l'alerte, c'est la brigade de première intervention des forêts qui se déplace, outillée, sur les lieux pour éteindre le feu. Quand le feu s'est propagé rapidement et que les moyens des forestiers s'avèrent insuffisants, il est fait appel à la Protection civile. Pour une meilleure intervention, les agents d'intervention des forêts bénéficient d'une formation dispensée par la Protection civile. Plusieurs lacunes sont, néanmoins, relevées, dont le manque de moyens.
La prévention, mais...
La densité du massif forestier à Jijel nécessite la mise en place d'un plan préventif tout au long de l'année. En effet, outre les actions visant l'élagage au bord des routes, plusieurs autres travaux sont menés par les forestiers. Il s'agit des opérations d'aménagement des tranchées pare-feu, de la création de points d'eau et du dépôt de plusieurs bâches à eau alimentées par les eaux de pluie dans les endroits lointains et inaccessibles. Actuellement, 2.160 km de pistes ont été aménagées, soit « l'équivalent du réseau routier de la wilaya ». Depuis janvier dernier, 58 km de pistes ont été aménagées et 41,5 km autres ont été réalisées « pour l'extinction des incendies ». L'opération d'assainissement a concerné 394 ha sur les 404 inscrits. Pour ce qui est de l'aménagement des tranchées pare-feu, 50 km ont été réalisés sur les 70 inscrits au programme et 35 km de pistes ont été ouvertes. On compte pas moins de 115 points d'eau dont 103 sont opérationnels et deux en cours de réalisation. Sept sont placés dans des zones insécurisés vers lesquelles l'accès est difficile. Toujours en matière de prévention, les exploitations agricoles installées à l'intérieur de la forêt sont tenues de mettre en place une ceinture de sécurité pour le désherbage de
500 m selon le décret 44-87 du 10 février.
« Une disposition non respectée par les riverains », note notre interlocuteur. D'autre part, des moyens importants sont mis en place pour une meilleure prise en charge de la situation. A Jijel, 14 postes vigiles sont inscrits dont 10 sont fonctionnels, « soit le double de l'année passée ». La Conservation des forêts dispose de 13 véhicules de liaison, 11 camions-citernes feux dont deux appartenant au parc national, un camion-citerne anti-incendie et un camion de transport. En matière de ressources humaines, la Conservation renforce son effectif en période estivale pour une meilleure intervention en cas de problème. C'est ainsi qu'en plus des 83 agents d'intervention, 56 ouvriers saisonniers sont recrutés en été pour la surveillance des forêts.
Renforcement du système de transmission
Le renforcement et l'extension, cette année, du système de transmission ont permis l'installation d'une station radio au parc de Taza. Le recours aux communications radiophoniques permet d'informer au plus vite lors du déclenchement d'un feu et de suivre les étapes de son extinction à distance. Ce système comprend deux stations relais, 20 stations fixes, 14 stations semi-fixes, 28 stations mobiles, 26 portatifs. C'est par la salle radio de la Conservation des forêts que transitent toutes les informations sur les feux de forêt. Cette petite salle comprend une carte de sensibilité aux feux de forêt, une carte d'infrastructures et équipements, une carte de visibilité pour indiquer les postes vigiles et une autre de dispositif de première intervention. « Nous gérons les feux à partir de ce poste, c'est-à-dire nous signalons, nous envoyons des équipes de reconnaissance, nous appelons le renfort, avant l'intervention sur le terrain. » L'existence de zones de silence entrave parfois le fonctionnement de ce système.

Où sont les autres ?
La forêt n'est pas l'affaire des forestiers seulement, puisque l'accomplissement des travaux hors secteur a son importance dans la prévention des feux de forêt. L'entretien du réseau routier, du chemin de fer, des lignes électriques de haute et moyenne tension et des lignes téléphoniques, les travaux d'entretien des barrages et des transferts doivent être menés de manière régulière étant donné que tout cet environnement « constitue un facteur déclenchant les incendies de forêt ». Outre les travaux hors secteur, les collectivités locales sont directement impliquées dans la prévention et la protection de la forêt. La grande défaillance de ces instances est souvent décriée. « En cas de feu, nous ne pouvons même pas compter sur les APC pour nous procurer de l'eau », indique le conservateur. Pourtant, la réglementation en vigueur prévoit l'installation, au début de chaque saison estivale, de deux comités. Le comité de la protection de la forêt, présidé par le wali et le comité opérationnel, présidé par le secrétaire général de la wilaya. Ils ont pour mission « d'approuver le plan anti-feux et de définir les moyens d'intervention. Ils se réunissent au début de chaque saison estivale et à la clôture pour faire un rapport détaillé de la situation ». En vertu du décret de 2007 portant création de ces deux comités, ces derniers sont aussi « responsables des grands travaux préventifs, de la réquisition des moyens avant le feu et de la restauration du personnel ». « Le texte de loi est obsolète. Il reste ambigu sur plusieurs aspects, d'où sa nécessaire révision », dit-il. Notre interlocuteur estime aussi important de procéder à des changements concernant les deux comités. « Nous souhaitons revoir les dispositions réglementaires régissant le fonctionnement, la structure et la constitution des deux comités de protection de la forêt », ajoute-t-il.
Les enquêtes... sans suite
Après avoir éteint un incendie, la Conservation des forêts se contente de déposer plainte contre X auprès du procureur de la République. Quelque temps après, le dossier est classé « faute d'une véritable enquête judiciaire ». Pour un meilleur traitement de cet aspect, un cycle de formation dans le domaine des investigations a été lancé, cette année, au profit des forestiers, en collaboration avec la Gendarmerie nationale. « Cette formation devait permettre aux services des forêts d'assumer la mission d'enquêtes judiciaires. Mais nous nous sommes rendu compte qu'il y a un problème de statut et de moyens dont nos services ne disposent pas encore pour mener ce genre d'activité », explique Abdelhakim Chebah, chef par intérim du service protection.
Sensibilisation contre incivisme
Avec 55% de couvert végétal, Jijel compte parmi les wilayas les plus touchées par les feux qui font des dégâts considérables. L'incivisme des citoyens est souvent mis à l'index puisque ces derniers ne s'impliquent pas réellement dans le travail de prévention contre les feux de forêt, que ce soit à travers l'alerte en cas d'incendie ou une intervention sur le terrain pour minimiser leur ampleur. Un important travail de sensibilisation et de communication a été engagé. « Le facteur humain est décisif dans la réussite de notre campagne de prévention contre les incendies de forêt », assure le conservateur. L'action la plus récente est la caravane de sensibilisation organisée au profit des riverains pour leur inculquer les précautions à prendre pour allumer un feu et les premiers gestes à effectuer en cas d'incendie. « Quand un feu vient de se déclarer, un litre d'eau suffit pour l'éteindre mais dès qu'il se propage, des millions de litres ne suffisent plus », explique-t-il.
Des campagnes de sensibilisation et des intervention ont été menées à travers la radio locale, dans les écoles, à l'occasion des différentes festivités et expositions organisées dans la wilaya. La Conservation des forêts a aussi fait appel à la mosquée pour sensibiliser les gens sur les dangers, les pertes et les ravages occasionnés par les incendies. Des prêches du vendredi ont été consacrés au sujet. Une autre caravane de sensibilisation a sillonné les 12 communes les plus touchées par les feux entre le 12 juillet et le 17 août derniers où il a été question de prendre attache directement avec les citoyens pour mieux les impliquer dans le travail de prévention des incendies.

le chêne-liège en voie de disparition !
En Algérie, la forêt est constituée de quantités considérables de chêne-liège et d'un sous-bois dense. Ce sont des réservoirs de produits inflammables. En plus du fait qu'elles soient des forêts côtières où le taux d'humidité avoisine les 90%, elles sont situées dans une zone où la pluviosité est de 1.200 mm, une pluie génératrice d'une bonne végétation et d'une broussaille importante.
« Lors de la sécheresse de l'été, ces forêts deviennent inflammables. A chaque incendie, nous constatons que l'inflammabilité est très importante, ce qui favorise une propagation très rapide de l'incendie avec des dégâts irréversibles », précise le conservateur, qui tient à tirer la sonnette d'alarme sur « le risque de disparition » du chêne-liège sous la menace des feux de forêt.
Des moyens aériens indispensables
L'importance des moyens mis en place par tous les services concernés n'a pas, pour autant, contribuer à mettre fin aux menaces sur notre patrimoine forestier. Pour une intervention efficace et radicale contre les feux de forêt, il faut des moyens adaptés au relief accidenté où le feu se propage de manière rapide. « L'acquisition de Canadair pour une meilleure intervention dans les monts de Jijel s'avère indispensable », indique Meassam El Wardi.


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