C'était une figure familière pour tous ceux qui aiment lire. Son magasin, situé en haut de la rue Didouche était souvent empli de clients. Les uns prennent le temps de fouiller le long ou en-bas des étagères. D'autres sont pressés d'acheter un livre qu'ils savent introuvable ailleurs. Il vendait aussi des magazines écornés ou récents, des disques 33 tours. Ammi Mouloud avait son rituel. Il arrivait très tôt le matin mais n'ouvrait « L'Etoile d'or » qu'aux environs de huit heures après avoir remonté la rue. Derrière ses lunettes, il était toujours là, à nettoyer un ouvrage usé, à recoller les feuilles d'un autre. Il mettait souvent de côté un titre pour les habitués et n'encaissait jamais sans dire merci. Il ne perdait aussi rien des mouvements des « fouineurs », surprenant parfois ceux qui piquent un livre. Il n'en faisait jamais un scandale. Rien ne l'irritait plus que ceux qui demandaient des livres scolaires ou ces essaims de bambins qui se moquaient parfois de sa perruque en détalant de toutes leurs jambes dés qu'il sortait sur le seuil de la porte. L'homme trônait derrière son comptoir depuis 1951. Il aimait parler à ceux qui prennent le temps de l'écouter de son ancienne patronne. Il était rentré chez elle tout jeune comme apprenti. A son départ en 1962, elle cédera tout à Mouloud qui un bref passage dans une société d'assurance retrouvera vite son royaume. Il s'honore depuis d'avoir vu défiler dans son étroit magasin des ministres, des chanteurs et surtout Camus, George Arnaud, Tahar Djaout, Mimouni et tant d'autres personnalités. Dans le quartier du Salembier où sa famille venue de Guenzet (Sétif), comme tant d'autres s'y était établie, il avait connu le grand écrivain Mouloud Feraoun. Avec Mouloud, on n'était jamais en rupture de confidences. Il parlait souvent de son fils en Suisse où il se rendait régulièrement. Il regrettait le faste de la rue Didouche qu'il a connue meilleure. De ce jour aussi qu'il évoquait avec le même soupir. Le maire de Paris Delanoë de passage à Alger avait changé de trottoir à la vue de l'enseigne s'était engouffré chez lui avec toute la délégation. « Là où aucun maire d'Alger n'a jamais daigné prendre une photo avec moi », disait-il en exhibant une pile de ses portraits et une lettre de l'édile. Mouloud connaissait Steinbeck, Guy des Cars, Margaret Mitchell, « Rebecca » de Daphné du Maurier ou « la condition humaine » de Malraux. Lui n'aimait pourtant lire que les policiers et deux ou trois quotidiens. Le meilleur hommage qui lui a été rendu est sans doute cette nouvelle qu'il a inspirée à notre confrère Améziane Ferhani. Elle ouvre son recueil « Traverses d'Alger » paru l'an dernier. Mouloud ne pouvait pas ne pas habiter un jour le royaume des livres qu'il avait servi. Avec sa disparition, la rue Didouche ne sera plus la même.