L'écrivain, né en 1925 dans un petit bourg nommé Mansourah, à Bordj Bou-Arréridj, a souvent apposé cette empreinte indélébile liée à un vécu rural, voire naturel dans lequel il a évolué et dont est issue la majorité du peuple dans lequel il s'immisce, tout en l'invitant à s'immiscer lui-même dans la petite histoire qui, en fait, puise son essence de la grande. Celle de l'Algérie combattante contre le colonialisme, celle qui a recouvré son indépendance et celle promue à bâtir et à édifier le pays indépendant. Benhadouga, qui a écrit nombre d'ouvrages, s'il n'est pas encore enseigné dans les écoles, a emboîté le pas à ses disciples de la littérature classique des années 1950, celle-là d'expression française mais qui n'en était pas moins proche du peuple et de son vécu, peut-être même influencé par les romans réalistes des Mammeri, Feraoun, Kateb, Haddad et Dib. Et dans l'arabe classique fluide, dont usait à satiété l'auteur de « Le vent du Sud », il n'était pas curieux et même surprenant que ses romans et autres nouvelles, registre littéraire dans lequel il s'est fait d'abord publier et dans lequel il a d'abord excellé — avant de chavirer vers l'écriture romanesque, et grand bien a fait et fasse encore à ses lecteurs — de lui trouver des adeptes parmi les initiés certes mais aussi parmi les érudits. En témoigne cette aura qui a accompagné sa production, de son vivant, les hommages et rencontres annuelles à titre posthume, organisées pour pérenniser son œuvre prolifique et qui l'aurait certainement été encore plus, n'était son décès prématuré, pourrions-nous dire, en ce 21 octobre de l'année 1996. Un lectorat arabophone, certes mais aussi une célébrité qui a gagné du terrain avec l'avènement de la traduction de la quasi-totalité de ses ouvrages par Marcel Bois. Une belle œuvre donnée à lire par ce traducteur, professeur de français au lycée El Mokrani, qui, tout en initiant ses élèves à l'habitude de lire, offrait à leur esprit l'opportunité unique de déflorer ces publications, d'abord à parcourir en arabe, avant de leur présenter les publications traduites, pour, d'une part, en savourer les textes originels et ensuite les apprécier à leur juste valeur, avec un développement en français, cette fois-là, des mêmes idées formulées dans des mots autres, mais dont la portée sémantique ne pouvait départir de son sens initial voulu. D'ailleurs, entre Benhadouga et Bois, il y avait plus que cette complicité de deux hommes aimant les lettres. Autour d'un ouvrage, il y a des discussions, des entretiens, des rencontres et même des déplacements du traducteur dans des lieux cités par l'écrivain, afin de s'imprégner d'un site donné, de son ambiance, de son atmosphère pour un meilleur compte rendu de l'idée développée dans le roman. Ainsi, en est-il, comme confié par Marcel Bois dans une des interviews accordées à la presse à propos d'un autre auteur algérien dont il a aussi traduit des œuvres, en l'occurrence Tahar Ouettar : « Pour le livre ‘'Al Zilzal'' de Tahar Ouettar, j'ai pris l'avion vers Constantine, j'ai passé quarante-huit heures à sillonner l'itinéraire du personnage principal pour m'en imprégner... » La traduction, un plus à l'œuvre De lui, toujours à propos de cette fidélité aux propos de l'auteur, Waciny Laardj, auteur qu'il traduit aussi, écrivait : « Têtu avec les mots jusqu'à ce qu'il trouve l'équivalent qui lui va. Capable d'arrêter le temps pour chercher la place exacte d'un mot perdu dans la mémoire ou dans l'espace littéraire qu'il côtoie constamment, pour changer une ponctuation qui déforme la tonalité, ou revoir une phrase dans laquelle il a senti de fausses résonances. Les mots doivent s'installer et retrouver leur juste place, qui leur revient de droit. » Cette obsession presque maladive de bien faire poursuit le traducteur même lorsqu'il lit les manuscrits des auteurs, avec cette grande liberté qu'il entretenait avec Benhaddouga, d'intervenir avec l'accord de l'auteur dans l'écrit en arabe. Non pour le corriger mais juste pour lui en suggérer une autre tonalité, sonorité pour une meilleure délectation, lui son premier lecteur. Accord parfait entre les deux grands hommes de lettres. C'est ainsi que sont nés des ouvrages faits pour être appréciés de Abdelhamid Benhaddouga, « le père fondateur du roman algérien de langue arabe ». C'est avec sa trilogie, « Le vent du Sud », (Rih El Djanoub) ; « La fin d'hier » (nihayat el ams) et « La mise à nu » (ben essoubh), que cet écrivain a le plus brillé, car en rapport direct avec le vécu des Algériens, tant l'histoire racontée tire son essence des pulsions populaires. Avec cette entorse aux fondamentaux littéraires classiques algériens, d'expression arabe, à travers une touche moderne de l'écriture dans laquelle Benhadouga met en vedette la femme. Dans ces trois romans, c'est sur le personnage central que se construit la trame narrative : Nafissa, Dalila et les autres. Des révoltées nées pour bousculer l'ordre établi tout en restant respectueuses des traditions imposées par le carcan familial. A en devenir presque sympathique aux yeux du lecteur qui en fait sa partenaire privilégiée et l'accompagne dans son parcours pour la justice et la liberté. Des sentiments offerts au lecteur par Benhadouga dans une écriture optimiste qui se nourrit de trois éléments, la femme, la terre et le pays. Une écriture qui tire vers le haut parce que incontestablement malaxée dans les racines d'un mal-être extirpé, afin de détourner son itinéraire vers un meilleur. Benhadouga a toujours mis en exergue les profonds bouleversements de la société algérienne en tentant de les comprendre sans les juger pour mieux en juguler les conséquences. Abdelhamid, parti trop tôt, était ce visionnaire indispensable à l'avenir d'un peuple pour qui voulait lire et écouter un intellectuel qui a voulu tremper la culture dans l'édification du pays. On l'aura compris un peu tard, en témoignent ces multiples hommages qui lui sont consacrés aux quatre coins du pays. Saliha Aouès Les œuvres de l'auteur Al Djazair Bayn elamsi wal yawmi (L'Algérie entre hier et aujourd'hui), recueil d'articles, 1958 ; Dhilalun Djazaïria (Ombres algériennes), nouvelles, Beyrouth, 1960 ; Al Ashiaa As Sabâa (Les Sept rayons), 10 nouvelles, Tunis, 1962 ; Al Arwah Ash Shaghira (Âmes vacantes), poèmes, Alger, Sned, 1967, 100 p. ; Nihayatou al Ams, roman, Sned, 1974, 251 p. ; traduit en français par Marcel Bois, La fin d'hier, Alger, SNED, 1980 ; Rih al Djanoub, roman, Alger, Sned, 1971 ; traduit en français par Marcel Bois, Le Vent du Sud, Alger, SNED, 1978 ; Al Kateb wa Qissas Okhra (L'Ecrivain et autres nouvelles), Alger, SNED, 1974 ; Banae As Soubh, roman, Alger, Sned, 1981, 309 p. ; traduit en français par Marcel Bois, La mise à nu, Alger, SNED, 1981 ; Al-Djāziyyaẗ wa al-darāwīch, roman, Alger, SNED, 1983 ; traduit en français par Marcel Bois, El-Djazia et les derviches, Alger, ENAL, 1992. Wa Ghadan yaoum Djadid, roman, éd. Al Andalous, 1992. 332 p ; traduit en français par Marcel Bois, Je rêve d'un monde, Paris, Marsa (Algérie Littérature-Action), 1997. Il est aussi l'auteur de plus de 200 pièces radiophoniques (1957 1974).