Dans cet entretien, le professeur Dif évoque le silence pesant fait autour de la maladie du Sida d'où les difficultés de prévoir une stratégie claire pour la prévention. Pour les malades, le professeur Dif reconnaît l'absence d'une prise en charge psychologique et sociale. A cela s'ajoute le manque de coopération entre les différents secteurs. 30 ans après la découverte des premiers cas de Sida, quels sont les défis que pose cette maladie en Algérie ? Pr Dif : Depuis 1981, le VIH a tué 30 millions de personnes dans le monde. Il y a eu des avancées certes, qu'il ne faut pas nier telles que le dépistage, la découverte des antirétroviraux, mais le grand problème reste la prévention qui est l'autre défi à relever. Comment parler avec un langage simple et toucher le maximum de personnes lorsqu'on touche aux choses intimes du sexe, de la drogue et du préservatif. Là, réside le gros problème. Le préservatif n'est pas généralisé et beaucoup de personnes n'aiment pas l'utiliser faute de disponibilité ou de méconnaissance de ce moyen de prévention reconnu. Reste l'éducation qui doit être faite très tôt dans les collèges d'abord, pour ensuite être généralisée dans les lycées et les universités. Contrairement aux années 60, les jeunes, actuellement, quittent la maison familiale pour faire des études supérieures et se marient à un âge très avancé par rapport aux premières années de l'indépendance. Entre-temps, ils ont eu une activité sexuelle importante. Donc il ne faut pas cacher le soleil avec un tamis, car aucun pays n'est épargné ou protégé à 100% par le virus du Sida. En outre, il y a le problème de la prostitution. Les enquêtes ont mis en évidence que les concernées n'utilisent pas le préservatif alors qu'il doit être systématique. C'est vrai que les maisons de tolérance ont été fermées, mais ne nous voilons pas la face, les lieux de débauche se compte par milliers. Et ce n'est pas de gaîté de coeur que la gent féminine s'adonne à ce «travail». Dans 99 % des cas, les prostituées, pour une raison ou une autre, se retrouvent prisonnières de réseaux qui les emploient. Il y a aussi les drogues dures qui touchent de plus en plus d'Algériens à un âge précoce ? L'Algérie qui était un pays de transit est devenu consommatrice. Et pour cause, les trafiquants ont changé de tactique. Ils payent en drogue les passeurs. Donc une partie de la marchandise est consommée sur place. Sous l'emprise de la drogue, l'utilisateur n'est pas conscient et change de comportement sexuel sans utiliser de préservatif. Mais vous conviendrez que la prévention n'est pas uniquement du ressort uniquement du secteur de la santé ? En principe, la prévention doit concerner tous les ministères. L'Education nationale doit élaborer des programmes pour les collégiens et les lycéens. L'Enseignement supérieur doit organiser des journées d'étude dans les universités. Le ministère des Transports doit aussi sensibiliser les voyageurs à destination des pays touchés par cette pandémie comme l'Afrique du Sud ou le virus est omniprésent. La Justice doit s'occuper de la prévention dans les centres pénitentiaires où l'homosexualité et la drogue y sont présentes. Le ministère de l'Intérieur doit exiger des futurs mariés le test du Sida en plus du dépistage de la syphilis, l'hépatite B et C, la rubéole et la toxoplasmose pour l'établissement du certificat prénuptial. Malheureusement, sur le terrain, mis à part les Affaires religieuses, la Justice, l'Intérieur, l'Enseignement supérieur, les autres secteurs ne coopèrent pas. Est-ce que le dépistage se fait systématiquement et régulièrement chez les populations à risque ? Non, car il est volontaire et anonyme. Toutefois, les statistiques que j'ai en ma possession de l'hôpital d'El-Kettar indiquent que depuis 1998, date de l'ouverture du centre de dépistage volontaire, 4 000 personnes s'y sont présentées. Les résultats donnent 284 personnes séropositives, 446 personnes portant l'hépatite B, 236 personnes avec l'hépatite C et 313 personnes portant la syphilis. Concernant les statistiques des personnes atteintes de Sida, il y a lieu de signaler qu'il existe des chiffres officiels et des chiffres officieux. Au 31 mars 2011, le total cumulatif depuis 1985, est de 1198 cas de Sida et 5087 séropositifs. Mais ces chiffres ne reflètent pas la réalité, car les malades traités au niveau national dépassent largement les 2500 personnes et il y a plus de 600 séropositifs traités et suivis. Pour les enfants, il a été dénombré 110 âgés entre 2 à 16 tous contaminés par la maman lors de la grossesse. Au sud, notamment à Tamanrasset, la plaque tournante du flux migratoire et par extension la propagation du Sida, qu'est-ce qui est fait pour endiguer le fléau ? On ne peut pas parler de Tamanrasset parce qu'elle se trouve à la frontière des pays subsahariens. Mais les wilayas du sud qui subissent une forte migration sont exposées à un risque de contamination incontrôlé. Et si l'on prend la wilaya de Tamanrasset, où l'on compte 43 nationalités, il y a moins de personnes atteintes de Sida qu'à Alger. La trithérapie est-elle toujours en vigueur ? Il y a un point positif qu'il faut souligner. L'Algérie a été le deuxième pays africain et le premier pays du Moyen-Orient à introduire en 1998 le traitement lorsqu'on a dénombré 60 citoyens malades du Sida avec un taux de mortalité à 100%. Depuis cette année, ce taux a baissé de 90%. Il faut indiquer que le traitement, bien que coûteux, est gratuit pour tous. L'exploration est également gratuite. Toutefois, de temps en temps, il y a une rupture de stock. Actuellement, il y a les 7 molécules à prendre quotidiennement et à vie. Le point négatif est l'absence de prise en charge psychologique et sociale des malades. Où en est la recherche ? Actuellement, la recherche au niveau mondial se limite aux médicaments qui traitent les maladies opportunistes. Le jour où l'on découvrira la molécule qui détruit le virus du corps, ce serait une avancée pour l'humanité. Pour le moment, aucun essai de vaccin n'a été concluant, car le virus du Sida mute continuellement.