La place Tahrir, de nouveau envahie par les manifestants qui l'occupent depuis 15 jours, retourne à son rôle contestataire qui a mis fin au règne des Al Moubarak détenus pour les uns ou vivant en reclus pour le raïs dans la cité balnéaire de Charm El Cheïkh dans l'attente du procès décisif pour les autres. Six mois après la chute de Moubarak, la rupture tant espérée tarde à voir le jour et alimente le scepticisme des animateurs de la protesta citoyenne. Rien ne va désormais entre le Mouvement du 6 avril accusé de «diviser le peuple et l'armée» et le Conseil des forces armées (CSFA) suspecté de velléité de blocage des réformes démocratiques. Les signes du malaise sont déjà apparues nettes dans la tentative avortée des manifestants décidant de se rendre devant le ministère de la Défense et du siège du CSFA. Un malaise allant grandissant et porteur de dérive aux conséquences incalculables. Des affrontements violents ont en effet opposé les manifestants aux partisans des militaires. Le bilan est lourd : 231 blessés dont 39 ont été acheminés à l'hôpital, selon le ministère de la Santé. La ligne de fracture de la place Tahrir, sourde des divergences de plus en plus profondes entre les artisans de la révolte et le régime militaire en charge de la transition, déborde dans la société. Elle fait craindre le pire : une guerre civile dont l'Egypte de l'après-Moubarak aura de la peine à se relever. Les promesses de changement démocratique butent sur le maintien des éléments-clés de l'ancien régime aux postes de commande, à l'image du patron du CSFA, le maréchal Hussein Tantaoui qui a été pendant 20 ans le ministre de la Défense de Moubarak. Dans le nouveau gouvernement de transition du Premier ministre Essam Echaraf, il a été remarqué également le maintien de plusieurs figures anciennes. Toutes les assurances de Tantaoui, promettant de créer les «piliers d'un Etat démocratique défenseur de la liberté et des droits de ses citoyens» et la tenue des «élections parlementaires libres et justes, une nouvelle Constitution et l'élection d'un président choisi par le peuple», ne semblent pas convaincre les plus réticents. Le sort de Moubarak reste une autre source de tension. «Son cas embarrasse la corporation militaire dans son ensemble et le maréchal Tantaoui en particulier», estime Moustafa Kamel el-Sayyed, professeur de sciences politiques à l'université du Caire. Le procès des Al Moubarak peut se révéler comme étant le procès du régime dans toutes ses composantes qui auront à souffrir des «révélations» du président déchu. Entre le report, justifié par la dégradation de l'état de santé ou un complément d'enquête, et la tentation d'un procès en trompe-l'œil, la sentence de la place Tahrir est sans appel. «Je veux voir M. Moubarak devant un tribunal, je veux un procès ouvert qui se tienne dans la capitale», lance un militant du Mouvement du 6 avril. Dans cette «révolution inachevée», marqué par l'absence de «cadre» de leader et d'une idéologie claire, selon l'éditorialiste du quotidien indépendant al-Masri al-Youm. al-Youm, Hassan Naféa, les turbulences du processus de transition sont l'expression des attentes non seulement pour l'Egypte du changement démocratique, mais aussi pour l'ensemble de la région.