Le remake réussi de la baie des Cochons sur les rivages de la Libye n'est pas près de disparaître du menu des forums politiques et des «Unes» des médias internationaux. Surtout si la «prise du pouvoir» par la «partie» islamiste extrémiste (30% des rebelles selon certains estimations) est confirmée. Aux Etats-Unis, plusieurs voix se sont élevées pour reprocher à Obama d'avoir «offert» la Libye à Al Qaîda. Mahmoud Jabril, le Premier ministre par intérim du Conseil national de transition, a beau alerter sur l'existence des extrémistes dans le patchwork que constituent les rebelles et montrer du doigt les islamistes qui mènent, selon Naji Barakat, son ministre de la Santé, «une politique de coups bas parce qu'ils veulent prendre l'ascendant», en vain. Les plus durs, ceux-là mêmes qui ont «liquidé» le général Abdel Fattah Younès, le 28 juillet dernier, ne cachent pas leur envie de faire place à Al Qaîda et Aqmi, sa filiale au Maghreb. Abdel Hakim Belhadj, l'homme que Abderrahmane Chalgham, l'ancien ministre des Affaires étrangères de Kadhafi, accuse d'être «plus un prêcheur qu'un chef militaire», promet de mener à bon port la Libye «où la égislation serait inspirée de la charia» sous sa «chéchia» de président du Conseil militaire de Tripoli, un poste qu'il a pris après l'attaque contre Tripoli menée par des groupes d'Al Qaîda dirigéés par les forces spéciales françaises et britanniques avec l'appui aérien de l'Otan. Ismaïl Sallabi, le mentor de l'ancien combattant islamiste antisoviétique en Afghanistan et membre du Groupe islamique de combat libyen (GICL), un mouvement créé dans les montagnes de la zone pakistano-afghane en 1990 et toujours inscrit sur la liste du Comité d'application de la résolution 1267 du Conseil de sécurité et de celle des organisations terroristes établie par le département d'Etat des Etats-Unis, accuse le numéro deux du CNT de «voler la révolution» et de «vouloir utiliser l'argent et le pouvoir pour bâillonner les Libyens». Il conseille aux ex-collaborateurs de Kadhafi qui ont rejoint le CNT de démissionner et dénie aux «rescapés» du régime un quelconque soutien dans la société. «Nous pensons que Mahmoud Jibril a perdu la confiance» de la population, souligne Anes Sharif, porte-parole du conseil militaire de Tripoli, dénonçant un «projet de nouveau dictateur». Décodé, l'Aqmi, le GIGL et al Qaîda, qui ont bénéficié d'une alliance de fait de l'Otan et de l'arsenal militaire de Kadhafi, ne veulent plus de leurs alliés locaux contre le régime de Kadhafi. Ils veulent une «irakisation» de la Libye (à la chute de Saddam Hussein, l'armée et les appareils de sécurité ont été dissous et les membres du parti Baas ont été exclus de la vie publique) et le contrôle politique et militaire de la nouvelle Libye. Belle perspective ! Surtout si le Yémen et la Syrie tombent, eux aussi dans l'escarcelle de la nébuleuse terroriste. En Tunisie et en Egypte, les Frères musulmans sortent de leur semi-retraite. Ils émergent en «partis politiques» et attendent, revigorés par le dernier coup de pouce turc, les futures élections pour construire des «régimes démocratiques basés sur les valeurs de l'islam». Les plus soft se disent prêts à partager le pouvoir dans le cadre d'un Etat démocratique. «Nous croyons en la nécessité de partenariats politiques et d'un Etat libre, civil et démocratique», déclare Al Bannani, précisant que les Frères musulmans, l'organisation dont il est un des responsables, «ne tolèrent ni intégrisme ni extrémisme». Ce double discours ne semble pas contenter tous les partenaires occidentaux-d'aucuns disent les parrains-du CNT. Les Nations unies pressent les nouvelles autorités libyennes de placer davantage de femmes à des postes-clés et de donner plus de poids à l'égalité entre les sexes dans la future Constitution. Mustafa Abdeljalil, le président du CNT, est épargné par les islamistes qui dans leurs rencontres avec la presse occidentale déclarent être animés par une seule ambition : renforcer l'unité nationale et les valeurs musulmanes. «Nous ne voulons ni le pouvoir ni un rôle politique. Nous croyons à un Etat démocratique, avec tous les mécanismes de la démocratie. Nous devons faire reposer notre démocratie sur la charia», disent-ils à l'unisson. Serait-il chargé de convaincre l'Occident qui est officiellement en guerre contre le terrorisme que la Libye ne deviendra pas un nouveau foyer pour al Qaïda ? Depuis peu, il n'a que l'expression «musulmans modérés» à la bouche. «Quatre-vingt dix pour cent des nôtres sont des musulmans modérés (...), 5% sont aux extrêmes droite et gauche», dit-il lors de sa première et unique apparition publique à Tripoli. Ira-t-il jusqu'à demander à l'OTAN qui planifie une occupation prolongée d'une partie de la Libye de rester sur les lieux pour combattre al Qaïda ? A l'approche de la formation d'un gouvernement d'union nationale où seraient représentées, dit-on, toutes les régions du pays, les islamistes manifestent ouvertement leur volonté d'exercer leur emprise sur ce cabinet. Les autres, notamment les technocrates, et ceux ayant vécu à l'étranger ou entretenu des liens avec le régime de Mouammar Kadhafi, refusent de se laisser faire. «Il y a des craintes que ces tensions compromettent les efforts de formation d'un Etat placé sous le signe de la cohésion et provoquent l'effondrement de l'ensemble de l'édifice», préviennent les analystes non sans rappeler que le CNT, qui est dominé par des personnalités de l'est du pays, en particulier de Benghazi où il a été créé et infiltré par al Qaïda, ne peut dicter leur avenir aux six millions de Libyens qui «ne sont pas une nation, mais un conglomérat de 150 tribus et clans analphabètes à 60%, que Kadhafi a su unir et contrôler. Y compris les Senoussi et les Touareg». «Je ne pense pas que le facteur déterminant dans la période qui s'annonce soit le facteur idéologique, mais plutôt les facteurs régionaux, tribaux et personnels», croit savoir le libéral, Mahmoud Chammam qui fait office de ministre de l'Information du CNT. Pour exemple, à Tripoli, les combattants de Zentan et Misrata refusent de faire allégeance à Abdelhakim Belhaj. Comme le reste des désormais officiels à Benghazi et Tripoli, il fait mine d'ignorer que la décision de renverser Kadhafi, d'exercer le pouvoir pour un an, sous le nom du «Conseil national de transition, de rétablir une forme de monarchie et faire de l'islam la religion d'Etat a été prise en juin 2005 à Londres lors d'une rencontre de Libyens présentés comme des opposants et non le 17 février 2011 à la «Conférence nationale de l'opposition libyenne» qui marque officiellement le début de la rébellion inédite sur plus d'un plan. Dont celui d'être financée par certains émirats du Golfe, d'être soutenue militairement par l'Otan et d'être portée par les réseaux sociaux, quelques chaînes satellitaires et une pléthore de pseudo fatwas.