Photo : Makine F. La mobilisation de 700 citoyens de 38 villages en Kabylie a permis la libération d'un otage kidnappé par les terroristes du GSPC. Cette mobilisation populaire confirme la vulnérabilité du GSPC qui a désormais perdu toute forme de soutien pouvant renforcer ses actions terroristes. Notre reporter est revenu sur les lieux. Il raconte la bravoure de ces villageois convaincus que pour lutter contre le terrorisme, la neutralité et l'indifférence ne sont pas de mise. Entre Tigzirt et Azzefoun, la trentaine de villages de la commune d'Iflissen surplombent et toisent la mer. De Taksebt à Taourirt, d'Adhrar à Tizi-Tamlalt, le même décor. Des villas imposantes, à faire pâlir d'envie des citadins parqués dans les cités, ont surgi à la place des maisonnettes d'antan. Celles-ci ont presque, sinon totalement disparu. Abdallah T. K. 47 ans et père de trois enfants habite Issenadjene, un des villages les plus peuplés, perché sur un piton rocheux. A pied, on dégringole vers Zegzaou (le bleu). Son établissement dédié aux spécialités de poissons porte le nom de cette plage discrète. L'homme qui se remet au milieu des siens de son épreuve gérait un bar-restaurant à étage sur le bas-côté de la route nationale qui serpente parallèlement à la cote découpée de falaises. L'endroit est isolé, loin des habitations. En d'autres circonstances, il aurait pu être une halte idéale sur la route des vacances. Le regard embrasse la grande bleue, les rochers aux formes sculptés. La forêt de Mizrana apparait à l'ouest du côté de Dellys. La route vers cette dernière ville au-delà du village Amazer est coupée depuis des années. C'est cette partie de la côte qui suscitait jusque-là peur et angoisse. Beaucoup d'attentats ont été enregistrés alors que la région d'Iflissen est davantage une zone de passage et de transit vers Tamgout. Il y a des gardes communaux au chef-lieu pour assurer la sécurité d'une commune très peuplée. Le siège de l'APC est situé à Agouni-Moussi, une quinzaine de kilomètres plus haut. Une direction peu fréquentée et redoutée. Sitôt sortie de la trépidante et charmante Tigzirt pour rouler vers Azzefoun, on ne rencontre aucun barrage. La chronique du terrorisme n'était pas très longue. Au milieu des années 90, un ancien moudjahid au village Tassanant, tout près d'Issenadjene, avait abattu des éléments d'un groupe qui voulurent le déposséder de son fusil. Des opérations de ratissage ont également visé quelques zones d'une commune truffée de maquis et ravins boisés. Issenadjene a aussi connu deux événements avec versement de rançons. Abdallah T. K. connut sa première épreuve qui se termina par le paiement de 200 millions de centimes. « Quand on vous demande de telles sommes, c'est plus facile à dire qu'à payer. Au-delà de l'aspect politique de la question, nous dit un membre du côté de village, c'est d'abord cette hogra de s'en prendre aux modestes citoyens qu'il faut dénoncer et refuser. Difficile pour n'importe qui de se relever après avoir contracté des dettes pour payer ses ravisseurs». « Ici, nous avons moins souffert que les villages qui se trouvent à l'orée de la vaste forêt de Mizrana », explique Saïd un étudiant qui montre du doigt les villages du côté de Dellys. C'est une direction peu fréquentée et redoutée. La plupart des terroristes qui écument la région proviennent d'ailleurs de cette ville et de ses environs. LE MUR DE L'INDIFFÉRENCE S'EST FISSURÉ C'est le cas du terroriste abattu, par les forces de l'ANP, vendredi dernier près du village Sahel. C'était un membre du groupe qui revint au volant d'un fourgon dont le chauffeur fut aussi enlevé et mis dans un autre véhicule. Son fourgon a servi à déposer les ravisseurs et l'otage. Au retour, le terroriste tomba nez à nez avec un détachement de l'ANP. En allant du côté d'Iflissen, la route de la cote compte quelques bars et la circulation automobile est plus dense. L'un d'entre eux fut investi il y a près de deux ans par un groupe qui kidnappa le propriétaire originaire aussi d'Issenadjene. Un gardien de prison qui avait alors exhibé sa carte professionnelle sera assassiné froidement. Quelques personnes soupçonnées de complicité avec les terroristes furent arrêtées ces dernières années. Globalement, la région était pourtant calme, relativement sûre. Politiquement, le RCD est assez bien implanté. Depuis l'avènement du pluralisme politique, c'est le parti majoritaire à l'APC qui n'a jamais échappé au parti de Sadi. Contrairement aux ravisseurs opposés à une soi-disant «dissolution des mœurs » dans la région, prendre un verre est un geste qui ne révulse personne. Dans beaucoup de restaurants, le client a le choix entre vin et limonade. « A ce que je sache, les commerces sont régis par les lois de la République. Ce n'est pas parce que quelque chose ne plait pas à X ou Y qu'il doit imposer son interdiction», déplore un restaurateur. «Cela ouvrirait la voie à la loi de la jungle», souffle-t-il. L'enlèvement du week-end dernier est encore commenté. «C'est un événement malheureux pour lui et pour nous», témoigne un homme rencontré aux alentours. Les habitants ne sont pas des bravaches ou des va-t-en guerre. Ils cherchent seulement à vivre en paix. « Pourquoi s'en prennent-ils à des gens qui s'occupent tranquillement de leurs affaires». L'interrogation est sur toutes les lèvres. Certes, d'aucuns voulaient en découdre avec les ravisseurs. «Le citoyen a encore un rôle à jouer dans le combat contre ces gens». L'indifférence et la neutralité ne doivent pas être de mise. Les terroristes ont toujours compté sur celles-ci tout en s'en prenant en premier lieu aux citoyens. C'est la leçon de cette mobilisation qui a comme tourné la page d'une période où chacun se croyait à l'abri d'un malheur. Aujourd'hui, on se réjouit surtout de la libération d'un homme déjà kidnappé en 2005. L'otage est surtout heureux de retrouver sa petite famille et savoure toujours le goût des retrouvailles. Il n'a pas encore le temps ni le désir de s'étaler sur ces terribles journées. Ce sont les autres qui parlent surtout de l'enlèvement. «Ils étaient une quinzaine d'hommes sans cagoule à s'introduire aux coups de 21 heures dans la salle bondée de clients. Ils avaient auparavant braqué deux automobilistes», nous dit un jeune qui habite à quelques centaines de mètres du restaurant fermé depuis. «Avant, les gens circulaient la nuit mais ces derniers jours après dix-neuf heures, tu peux t'allonger sans risque sur le bitume», avoue-t-il. «Ils ont, ajoute-t-il, pris la puce du frère d'Abdallah et ils l'ont utilisée durant les négociations avec l'homme délégué par les comités de village de la région d'Iflissen». «Tout s'est fait dans la transparence, fait remarquer un élu qui était là au même titre que les autres citoyens». BRISER LE CERCLE INFERNAL Un cousin d'Abdallah loue d'abord la disponibilité et la mobilisation des citoyens. Chacun s'est aussitôt senti concerné par le rapt. « C'est un ras le bol qui s'est exprimé », estime un commerçant. « Le mur de l'indifférence s'est fissuré et la société a soudain retrouvé des réflexes de défense qu'on croyait disparus ». « Dès vendredi, ils étaient des centaines à affluer au domicile familial pour soutenir sa femme et son père malade dans l'épreuve ». Le samedi, un cortège de près de 500 voitures sillonnera la route du littoral et celles qui longent les quelques forêts où se terrent -croit-on- les ravisseurs. Munis de porte-voix, ils demanderont aux ravisseurs de libérer l'homme. Personne ne saura où l'otage est détenu. L'UNION FAIT LA FORCE Un homme jouera un rôle clé dans les événements qui deux jours durant vont mobiliser des milliers de citoyens décidés à briser le cercle infernal. A 76 ans, Arezki Tigharsine est un retraité de l'Education. Il était un professeur de langue arabe dans plusieurs collèges de la capitale. Son village Timliline est connu pour sa zaouïa. La maîtrise de la langue arabe et l'intérêt pour la religion est une tradition ancrée chez ces familles maraboutiques. Beaucoup d'imams et d'enseignants de langue arabe y sont originaires. Le cimetière d'El Harrach porte le nom de Si Tayeb, un cheikh de Timliline qui leva l'étendard de la révolte en 1871 avant d'être emprisonné à Alger et d'y mourir. « Je suis un simple citoyen, nous dit Cheikh Arezki. Si j'ai été choisi pour le contact avec les ravisseurs, c'est pour ma maîtrise de la langue arabe. Au premier contact téléphonique, le frère de l'otage avait du mal à parler ». Mon interlocuteur maîtrise à la perfection cette langue et jouit visiblement d'un haut niveau ». « Très dur à la négociation et coriace », reconnaît-il. Il nous a reçus aimablement chez lui. « Dès le début, on a fait comprendre aux ravisseurs que notre action était pacifique et visait à libérer un père de famille et à soulager ses parents ». Une rançon de 700 millions de centimes est d'abord exigée puis elle sera ramenée au premier contact à 200 millions. « Je me suis porté garant qu'il n'avait pas cette somme ». Une réunion s'est tenue en fin d'après-midi du samedi à Issenadjene pour trouver une solution. Cheikh Arezki qui parla au nom des citoyens et des élus de la région qui ont suivi l'affaire a su allier souplesse et fermeté. D'autres ont fait comprendre aux ravisseurs en arabe et en kabyle que la libération de l'otage doit se faire sans conditions et sans paiement d'une quelconque rançon. Des citoyens de la commune de Mizrana ont même montré une disponibilité à prêter main forte pour ratisser les forêts et utiliser la force. «Il fallait briser le cercle infernal parce que si la rançon est payée, dès que ces gens sont en manque d'argent, ils vont encore revenir à la charge». « A chaque fois raconte cheikh Arezki, mon interlocuteur partait consulter ses compères et il a accepté de libérer l'otage». LA FIN D'UN CALVAIRE «Dans la nuit du dimanche, vers 23 heures, le calvaire prendra fin. Avec le chauffeur et une autre personne, nous sommes partis à la rencontre de Abdallah déposé seul sur la route du côté d'Ath Arhouna». Les traces de fatigue sont encore visibles mais l'homme tire une grande satisfaction et n'oubliera jamais l'immense clameur qui salua la libération de l'otage. «C'était une indescriptible joie pour tous les hommes, femmes et enfants de notre région qui ont montré une union sans faille». Abdallah T. K. est de son côté reconnaissant aux siens. Il est passé même ici à la mairie pour nous féliciter pour le soutien», nous confie une jeune employée. Ce samedi à 14 heures, les responsables des comités de villages vont se retrouver pour mettre en place une structure qui saura réagir à ce genre de problèmes et de défis que les Iflissen sont décidés à affronter ensemble. L'ouverture d'une décharge publique dans cette région où les routes sont hélas jonchées d'amas d'ordures devrait être abordée. «C'est une de nos principales préoccupations, nous dit le président de l'APC, M. Tizguine. Nous avons dégagé un site provisoire mais la concertation est nécessaire avec les représentants de la population pour trouver une solution définitive à ce problème».