Massée à l'entrée d'une station service de Luanda, une file interminable de voitures prend racine sous un soleil de plomb: dans la capitale de l'Angola, nouvel Eldorado de l'or noir en Afrique, faire le plein d'essence relève du parcours du combattant. Cela fait trois quarts d'heure qu'on attend. Et on est dimanche. Le reste de la semaine, ça peut aller d'une heure et demie à deux heures", lâche José Lapi, un employé d'une société pétrolière étrangère, en refermant la vitre de son 4X4 climatisé. Posté derrière la caisse, Adao Kimonha semble bien dépourvu: "Nous sommes ouverts 24 heures sur 24 et ça ne s'arrête jamais", raconte ce pompiste de 22 ans qui voit défiler plus de 1.500 automobilistes chaque jour. Partout ailleurs, les mêmes files d'attente viennent encombrer les artères déjà saturées de la capitale où se tient mardi une réunion de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). Et la situation pourrait être bien pire encore. A 40 kwanzas le litre (0,44 dollars), le carburant reste un luxe dans cette ex-colonie portugaise habituée à une croissance économique à deux chiffres mais où 70% de la population survit avec 2 dollars par jour. "C'est simple: de plus en plus de gens ont des voitures. Il n'y a tout simplement pas assez de stations service. Il faut en construire davantage", martèle José Lapi. Actuellement, la distribution de carburant est monopolisée par la société pétrolière publique, la Sonangol, qui rechigne à ouvrir le marché à la concurrence. "Un héritage du marxisme qui était en vigueur" dans ce pays déchiré en outre par 27 ans de guerre civile, analyse un conseiller économique occidental implanté dans le pays. Autre difficulté: si l'Angola a ravi au Nigeria le titre de premier producteur de pétrole en Afrique sub-saharienne, ses activités de raffinage ne suffisent pas à répondre à la demande, l'obligeant à importer en masse des produits pétroliers. Le pays consomme 75.000 barils par jour mais n'en raffine aujourd'hui que 37.500 en raison notamment du manque d'infrastructures. Le gouvernement l'assure: la situation va bientôt changer. "Nous allons intervenir (...) sur la commercialisation, les stations services", a récemment affirmé le ministre du Pétrole José Maria Botelho de Vasconcelos, ajoutant ne pas être opposé à une libéralisation du secteur. "La concurrence pourrait faire baisser les prix (...) mais les prix pourraient également monter parce que ce sera alors le marché qui les fixera", a-t-il diagnostiqué. En attendant, une voie alternative s'offre aux automobilistes excédés: les stations "sauvages" qui ont poussé à chaque coin de rue. L'une d'elles voisine le luxueux complexe qui abritera la réunion de l'Opep. Installé sous un morceau de toile exsangue, son propriétaire, sergent de l'armée angolaise en attente d'affectation, fait le pied de grue devant sa "station service": quelques bouteilles d'essence déposées en vrac dans un chariot en fin de vie. Ici un litre se vend dix centimes de kwanzas en plus, permettant à l'apprenti pompiste de dégager un bénéfice confortable. Mais il faut être particulièrement motivé. "Pour éviter les files d'attente, je me lève à deux heures du matin pour aller acheter l'essence dans les stations service", dit ce trentenaire qui ne tient pas à donner son nom. Parfois, il lui faut également "convaincre" les policiers de ne pas le verbaliser, sans parler du risque de voir ses bidons d'essence s'enflammer. Sans surprise, la perspective du prochain sommet de l'Opep ne lui apporte guère de réconfort. Ces réunions "ne bénéficient qu'aux gens qui ont de l'argent", se lamente-t-il.