Dés 15h, les moyens de transport réglementés commencent à se raréfier. Une aubaine pour les «taxis clandestins» qui revoient à la hausse leurs tarifs profitant du laxisme des autorités. Les usagers souffrent le martyre pour arriver à destination. Le facteur temps prend toute son importance en ce mois sacré, vu que les journées sont courtes et que si on ne se presse pas pour rentrer avant la rupture du jeûne, on risque de rater le dernier bus. Mais face à l'anarchie sur les routes, des lenteurs de la circulation qui devient encore plus pressante en pareille circonstance, c'est à l'issue d'une périlleuse gymnastique qu'on rentre chez soi, éreinté, les pieds en compote. L'envolée des prix pendant le Ramadan est devenue systématique et le transport n'est pas en reste. Les transporteurs privés travaillent comme bon leur semble. Dès 15 heures, ils se mettent à couper les moteurs et à parquer leurs véhicules. Commence alors le calvaire des usagers. Les stations sont saturées. Elles donnent l'impression que tout le monde arrive en même temps comme si on s'était donné le mot. La Place des Martyrs ressemble beaucoup plus à un marché qu'à une gare. Les vendeurs à la sauvette se mêlent au décor. Ils étalent leurs marchandises à même le sol. Pas une seule parcelle de pavé libre pour circuler. On y trouve de tout mais l'hygiène fait défaut. Parmi la foule nombreuse qui emplit la gare, un homme aux cheveux grisonnants, bardé de victuailles, nous dit sans complaisance «Je me sauve plus tôt de mon bureau pour faire les courses et courir à la station de bus, espérant une place assise afin de ne pas être coincé dans la rue en quête d'un taxi.» Il est quinze heures. La panique se lit sur les visages. Les bras chargés de provisions, jeunes et moins jeunes se rapprochent du bus vide. Un groupuscule se forme en s'entassant devant la portière, que le chauffeur prend un malin plaisir à ne pas ouvrir avant qu'il y ait le compte. Le manège dure quelques minutes. Le bus s'ouvre enfin et c'est la bousculade. Les autres véhicules, selon la destination, se mettent en file indienne pour charger et repartir en trombe. Ceux qui arrivent à 16 heures devront jouer des coudes pour trouver une place. Les bus commencent à plier bagage pour «éviter d'être bloqués dans les embouteillages. Les routes alors deviennent des culs-de-sac» nous dit un transporteur privé pour justifier ce recul. A quelques mètres de là, juste en face de la Mosquée Djemaâ El kébir, des citoyens hèlent des taxis. Une jeune cadre attend depuis un quart d'heure «Les chauffeurs de taxi ne veulent pas m'emmener à Bab Ezzouar. Ils disent que ce n'est pas leur destination. C'est le monde à l'envers, ce n'est pas le client qui décide où il veut aller, c'est le chauffeur de taxi qui est maître à bord.» Non loin de là, dans la rue parallèle, Des chauffeurs clandestins proposent leurs services. Ils sont organisés en véritable «corporation». Ils ont la même grille de tarifs à quelques dinars près. Profitant du manque de moyens de transport et de la défection des transporteurs de bus privés, ils demandent le prix fort. Des courses sont proposées à partir de 200 DA et peuvent atteindre jusqu'à 1000 DA, uniquement pour les quartiers de la capitale. Les déplacements hors d'Alger coûtent les yeux de la tête. Il y a des pigeons à plumer et à partir de 16h, les clients deviennent plus intéressants du point de vue du prix de la course qui est automatiquement revu à la hausse. Le même scénario se répète à la station de la place Audin. Une longue file indienne fait le pied de grue. Les citoyens attendent leur tour pour grimper dans le premier taxi qui se pointe. Pour les usagers, c'est le calvaire au quotidien. Au mois de Ramadan, ce calvaire se décuple «il ne manquerait plus qu'on se mette à genoux pour qu'un taxi daigne nous transporter». Ces derniers imposent leur diktat «ils vous déposent là où ils veulent pour qu'ils puissent jumeler à leur guise. A l'arrivée, on doit casquer en gardant le sourire et gare à vous si vous essayer de rouspéter. Il m'est souvent arrivé de me disputer avec le chauffeur. Le citoyen est traité comme un va-nu pied», s'insurge un usager. «On se demande bien ce que font les autorités», ajoute-t-il exaspéré. Devant cette situation inextricable, les taxis clandestins s'en donnent à coeur joie, ils ont leur propres circuits et ne sont nullement inquiétés. En ce mois de jeûne, les citoyens ont hâte de rentrer tôt chez eux pour ne pas rater le moment de la rupture du jeûne. La place du 1er-Mai, est réputée pour être «le passage des ténèbres» pour les usagers qui ont l'habitude de transiter par ce quartier pour se rendre à leurs lieux de travail ou leurs domiciles. Là aussi les clandestins sont les maîtres du jeu. Ils garent leurs voitures devant la station d'essence et vous sifflent quand ils vous remarquent en quête d'un moyen de transport. Il est vrai que pour se déplacer dans la capitale, il faut une bonne dose de patience combinée à une détermination à toute épreuve. Arriver à bon port après un parcours du combattant, relève de l'exploit. La Blanche est saturée, malmenée. Elle n'en peut plus de porter les tares d'une gestion anachronique et surannée. Une virée au centre-ville et même en périphérie renseigne sur la dégradation d'un secteur où laxisme rime avec corruption. Dans toute métropole qui se respecte, le transport renseigne sur le degré de civilité qui caractérise la population, chez nous, nul besoin de faire un dessin: déliquescence, gabegie et anarchie sont les maîtres mots avec lesquels on peut qualifier cette situation désastreuse.