"Et-tarbaâ" est une tradition sociale ancienne par laquelle les habitants de M'sila célèbrent l'avènement du printemps à travers des sorties familiales vers les grands espaces verdoyants parsemés de fleurs aux couleurs chatoyantes. Les groupes de familles pratiquant ces sorties de plein air sont de plus en plus nombreuses en cette période de l'année, à travers les prés et les piémonts de cette région auxquels la végétation luxuriante confère une beauté ensorcelante. Ces sorties sont invariablement précédées de la préparation d'une pâtisserie spéciale à base de datte molle, appelée localement Lembardja (ou Lebradj dans d'autres régions du pays). Recette bien connue par la majorité des femmes de M'sila, Lembardja est faite avec une pâte de semoule copieusement mélangée à du beurre, parfois remplacé par de la margarine. Cette pâte presque identique à celle du célèbre gâteau El-Makrodh est ensuite fourrée de dattes molles écrasées et délicatement aromatisées de cannelle et de clou de girofle avant d'être aplatie et coupée en petits losanges. La cuisson de Lembardja se fait généralement sur un large plat métallique (en cuivre ou en fonte) d'environ un demi mètre de diamètre ou sur un "tadjin M'serrah (plat de cuisson en argile à surface lisse). Durant les premiers jours du printemps, les enfants à M'sila sortent presque chaque jour les mains remplies de cette friandise exquise qu'ils prennent parfois à l'école à la place de leurs habituelles collations de récréation. Toutefois, depuis quelques temps, Lembardja est proposée à longueur d'année par les cafetiers de la capitale du Hodna qui en sont approvisionnés par des femmes au foyer, une certaine manière pour elles d'arrondir les fins de mois de leurs ménages. LE RITUEL DE LEMBARDJA Il reste qu'au cours des sorties de plein air du début du printemps, Lembardja est le mets le plus prisé. Ensemble, ces deux pratiques (le gâteau traditionnel et les virées pastorales) forment le cérémonial par lequel les habitants du Hodna comme d'ailleurs ceux des autres régions du pays, accueillent le printemps, saison, dit-on ici, du "renouvellement de la vie". Certains autres "merabaïne" (adeptes du printemps) prennent aussi pour ces sorties des cacahouètes, des pistaches et des bonbons, le tout mélangé dans des sachets que certains épiciers préparent spécialement pour 50 à 100 DA l'unité. Tous les membres de la famille prennent part à ces sorties, mais il n'est pas rare de voir parmi les groupes de pique-niqueurs des jeunes couples de fiancés profitant également de la douceur du temps et de la nature en joie. Les sites de prédilection pour ces amateurs de parties de campagne sont souvent les prairies verdoyantes à l'écart des champs céréaliers qui sont évités pour ne pas briser les jeunes tiges encore tendres. Une fois l'endroit de leurs goûters champêtres choisi, les femmes étendent un léger tapis sur lequel elles placent le contenu de leurs couffins pour laisser libre cours aux agapes de printemps. "En plus de la force de l'habitude, ces sorties sont des occasions pour profiter de la beauté de la nature, s'offrir des moments d'évasion saine et de briser la routine et son corollaire, la monotonie", estime Mokdad, un père de famille de 40 ans "flanqué" d'une ribambelle de gamins piaffant à qui mieux mieux. Aujourd'hui, cette pratique traditionnelle semble néanmoins n'être plus possible que pour les ménages possédant des véhicules en raison de l'éloignement des sites appropriés par rapport aux grandes villes. Un handicap que certaines familles éludent en se rendant, en fin de semaine, chez leurs proches habitant les campagnes où elles peuvent librement profiter de l'air embaumé du printemps. Certains autres cotisent pour organiser purement et simplement ces sorties collectives en louant un minibus car il n'est pas question, pour la majorité des M'silis, de rater "Et-tarbaâ".