Aicha B. va partir bientôt à la retraite après avoir donné plus de trente ans de sa vie à l'Education Nationale dans le cycle primaire. Elle quittera sa classe aux prochaines vacances d'été non «sans une certaine tristesse», confie-t-elle. Cette dame sereine, proche des enfants, est maman de 4 enfants dont le plus âgé a 24 ans et le plus jeune 11 ans : «Quand je rentre dans la cour, ils viennent vers moi, surtout les pré scolaires pour me faire la bise…» Proche seulement ? Aicha B. qui enseigne dans un établissement de Birtouta, voisin d'un bidonville côtoie la pauvreté tous les jours : «Les deux tiers de nos écoliers sont issus de ces habitations précaires où la vie n'est pas rose et cela me fait de la peine pour ces petits qui ne viennent en classe que pour la forme…». A juste titre, ces enfants d'un quartier indigent, issus de familles ayant fui les hauteurs de Tablat et Beni Slimane durant les années d'incertitude vivent dans une misère totale «S'ils ne vont pas à Alger vendre certaines plantes comestibles comme les épinards, ils travaillent dans la récupération du plastique ou des métaux dans les décharges et leurs mains sont abîmées… Alors leur demander de faire un exercice ou de s'appliquer aux devoirs …» dit cette institutrice en langue française avec une tristesse dans la voix. Aicha native de Bologhine, a fait ses études à l'ITE de Boufarik et a rejoint d'abord l'école primaire de Ben Chaabane, dans les environs de la localité de Birtouta, puis l'école Bouchicha. Entre les cours et leçons, elle trouve le moyen de s'adonner à la broderie, à la lecture et à l'écriture de la poésie. Des poèmes tout de douceur et d'engagement contre les injustices. Les mots viennent du cœur et sont imprégnés de candeur comme les vers dédiés à la douleur des habitants de Ghaza ou le poème consacré à sa mère .Une vieille dame qui vit en ce moment chez elle. Et même si la vieille dame ne comprend pas la langue française, Aicha nous signale «quand je lui ai lu mon poème, ma mère émue a pleuré … c'est peut-être la musicalité des mots …». Echappatoire, besoin d'évasion, nécessité d'écrire, elle, la maîtresse d'école ? En tout cas, elle peut, dit-elle : «écrire sur un bout de papier à 4 heures du matin quand toute la maisonnée dort encore». Enfants fragiles, écoliers malades et démunis, Aicha frappe aux portes de sa parenté pour les vêtir et les chausser décemment. Malgré cela, elle signale : «Après la retraite je travaillerai dans une crèche, les enfants m'ont accompagnée toute mon existence». Elle dessine également : «des oiseaux et des visages…».