Un homme avait deux femmes. L'une avait un fils nommé Mohamed ben Soltan, le fils de la seconde s'appelait Ali ben Aguemoun. La mère du premier vint à mourir, celle d'Ali lui survécut et donnait aux deux enfants la même nourriture, car elle ne savait pas lequel des deux était son fils, tellement ils se ressemblaient. Les enfants passaient leurs journées à la chasse. Un jour la mère causait avec d'autres femmes pendant qu'Ali était dans la mosquée. «Pourquoi ne mets-tu aucune différence entre Mohamed et ton fils ?» lui demandèrent-elles. «Je ne sais pas lequel est mon fils,» répondit-elle. Celles-ci reprirent : «A leur retour de la chasse, tue une poule dont tu mettras les entrailles sur ton sein, tu feindras de tomber et tu crieras : Au secours, mes enfants, je me meurs, un bœuf m'a frappée ; ton fils accourra, tu lui perceras l'oreille pour le reconnaître. Quand ils reviendront de la chasse, regarde leurs oreilles, donne à ton fils du pain de froment, et du pain de son au fils de ta jumelle.» Tout arriva de la sorte. Un jour, ils prenaient leur repas ; quand ils mangeaient leur dernière bouchée, Mohamed dit à Ali : «O mon frère, pour l'amour de Dieu, allons jeter cette dernière bouchée de pain dans la fontaine.» — «Allons», répondit Ali. Ils arrivent à la fontaine et jettent dans l'eau leur bouchée de pain ; le pain d'Ali descendit au fond ; celui de Mohamed surnagea : «O mon frère, dit Mohamed, c'est ainsi que ce pain surnage dans mon estomac, le tien au contraire descend ; moi, je quitterai ce pays.» - «Pourquoi, ô mon frère, partir ainsi ?» - «Parce que notre mère ne nous traite pas également.» Alors ils se mirent à pleurer : «Comment ferons-nous, ô mon frère ?», demanda Ali. «Plantons un jeune figuier, répondit Mohamed, s'il se dessèche, tu sauras que je suis mort ; s'il verdit, tu sauras que je vis encore ; si le feuillage vient à tomber, tu sauras que je suis sur le point de mourir.» Et chacun partit de son côté. «Adieu, Ali.» - «Adieu, Mohamed.» Mohamed prit son faucon, son lévrier et son cheval. Il arriva à une fontaine où il s'arrêta pour se reposer. Alors vint la fille du roi portant un plat de couscous et un quartier de bœuf : «O jeune fille, lui dit Mohamed, donne-moi deux cuillerées de couscous et un morceau de viande.» Elle lui répondit : «O malheureux étranger, sache qu'il y a un serpent dans cette fontaine, je lui apporte ce plat de couscous et ce quartier de viande ; si je t'en donne une partie, il ne sera pas rassasié, il cessera de nous fournir de l'eau et il me mangera.» Mohamed reprit : «Dépose ici ce couscous et ce quartier de viande.» Au même instant, le serpent leva la tête. Mohamed lui assena un coup de sabre, la tête bondit au loin : «Ce n'est pas là ma tête», dit le serpent. Une seconde apparut, elle bondit au loin ; il leva la troisième, elle bondit au loin ; il leva la quatrième dont la bouche écumait, elle bondit au loin ; la cinquième écumait aussi, elle bondit au loin ; il leva la sixième, elle bondit au loin. La septième dépassait toutes les précédentes en grandeur, Mohamed la coupa d'un coup de sabre et elle bondit au loin. (à suivre...)