Résumé de la 20e partie n Lady Tressilian blâmait toujours les femmes, et réservait aux hommes, des trésors d'indulgence. Mary jeta un coup d'œil par la fenêtre. La demeure de lady Tressilian, bâtie au bord d'une falaise escarpée, surplombait l'embouchure de la Tern. Sur l'autre rive s'étendait la station balnéaire d'Easterhead Bay, de création récente, qui regroupait essentiellement une large plage de sable, une poignée de villas dispersées et un hôtel de vastes proportions érigé sur un promontoire dominant la mer. Saltcreek même n'était qu'un minuscule et pittoresque village de pêcheurs dont les maisons s'étageaient à flanc de coteau. On s'y voulait vieux jeu, conservateur et on n'y dissimulait pas son mépris pour Easterhead Bay et ses estivants. L'Easterhead Bay Hotel faisait presque exactement pendant à la demeure de lady Tressilian. Au-delà de l'étroit ruban d'eau où se mêlaient la rivière et la mer, l'hôtel infligeait aux regards sa façade prétentieuse et qui avait par trop l'éclat du neuf. — Je suis bien heureuse, dit la vieille dame en fermant les yeux, que Matthew n'ait jamais eu à contempler cette bâtisse vulgaire. De son temps, rien n'avait encore gâché le panorama de la côte. Sir Matthew et lady Tressilian s'étaient installés à la Pointe-aux-Mouettes trente années auparavant. Il y avait maintenant neuf ans que sir Matthew, plaisancier enthousiaste, avait chaviré à bord de son dériveur et s'était noyé sous les yeux de sa femme. Tout le monde avait alors pensé que lady Tressilian vendrait la Pointe-aux-Mouettes et quitterait Saltcreek, mais elle avait continué d'y vivre. Elle s'était contentée de mettre en vente toutes les embarcations et le hangar à bateaux. Les hôtes de la Pointe-aux-Mouettes ne disposaient plus de la moindre coque de noix. S'ils voulaient, désormais, traverser l'embouchure, ils devaient gagner l'embarcadère et louer les services d'un passeur. — Voulez-vous que j'écrive à Neville pour lui dire que sa proposition ne coïncide pas avec nos projets ? demanda Mary, un peu hésitante. — Je n'ai en tout cas aucune intention de changer quoi que ce soit au séjour d'Audrey ! Elle est toujours venue en septembre, et je ne vais pas lui demander de modifier ses plans. Mary désigna la lettre du doigt. — Vous avez vu que Neville dit qu'Audrey... euh... qu'Audrey est d'accord ? Qu'elle est très désireuse de connaître Kay ? — Je n'en crois pas un mot, répliqua lady Tressilian. Neville est comme tous les hommes, il prend ses désirs pour des réalités. — Il dit qu'il lui en a parlé, insista Mary. — Étrange façon de faire ! Quoique... peut-être pas, après tout. Mary la regarda d'un air inquisiteur. — Mais oui, comme Henri VIII, expliqua lady Tressilian. Mary ne comprenait toujours pas. — La conscience tranquille ! Henri a toujours essayé de faire admettre à la reine Catherine que leur divorce était une bonne chose. Neville sait pertinemment qu'il s'est conduit de manière inqualifiable - mais il veut que cela ne nuise pas à son confort intellectuel. Alors, il a tarabusté Audrey jusqu'à ce qu'elle lui concède que tout était pour le mieux, qu'elle viendrait ici rencontrer Kay et qu'elle n'y voyait aucune objection.