Cela commence comme une affaire banale, relevant de la routine policière, même si, dans le cas présent, il s'agit d'un service spécial, la DST, Direction de la surveillance du territoire, le service de contre-espionnage qui opère sur notre sol, contre les espions de tous bords. Nous sommes en juin 1975. Cela fait trois mois que la DST enquête sur un réseau international, dont le cerveau est à Beyrouth et dont une antenne a été détectée au Quartier latin, encore très cosmopolite et très remuant de l'après-Mai 68. C'est le lieu idéal pour trouver des complices parmi les étudiants, encore très sensibles aux thèses d'extrême gauche. Depuis peu, les services du contre-espionnage ont interpellé un Libanais de vingt-cinq ans, Michel Wahab Moukarbal, soupçonné d'activités terroristes. Lors des filatures, on l'a vu en compagnie de Wilfried Bose, un membre de la bande à Baader, qui sera l'un des responsables du détournement d'avion d'Entebbe, dont il est question dans cet ouvrage. Moukarbal a également rencontré d'autres suspects, qui ont été photographiés de loin et sur lesquels il est prévu d'enquêter. Pendant quatre jours, Moukarbal tient tête aux interrogatoires, il n'avoue rien, tandis que la perquisition de son appartement parisien n'apporte aucun élément non plus. Et soudain, au bout de soixante-douze heures, alors qu'on s'apprêtait à le relâcher, il craque. Il reconnaît être un agent de liaison entre le FPLP, le mouvement palestinien extrémiste, et les commandos terroristes en Europe. Il a remis à l'un de ses contacts une liste d'attentats à commettre, ainsi qu'une importante somme d'argent. En échange de contreparties qui ne seront pas rendues publiques, il collabore avec la police. Il donne une adresse : un studio, 9, rue Toullier, près du Panthéon. Il est sûr d'y rencontrer le membre du réseau en question et d'y retrouver une partie des fonds qu'il a apportés. On lui propose d'y aller en sa compagnie, il accepte. Pour les policiers, tout cela ne revêt pas une grande importance. Moukarbal n'est, à leurs yeux, qu'un personnage de second ordre et ses subordonnés sont forcément du petit gibier. Des interpellations de ce genre, ils en ont fait des dizaines dans le Quartier latin : des rêveurs, de jeunes exaltés qui jouent à la révolution pour se donner de l'importance et passer le temps. Une voiture prend donc la direction de la rue Toullier, avec cinq personnes à son bord. Outre le chauffeur et Michel Wahab Moukarbal, il y a là le commissaire principal Jean Herenz et les inspecteurs Jean Donati et Raymond Dous. Aussi extraordinaire que cela paraisse, aucun des trois n'est armé. Ils ne l'ont pas jugé nécessaire, vu le côté banal de l'affaire. Et puis, il est tard, 21 heures, la journée a été fatigante. C'est une négligence comme en commettent tous les jours les policiers du monde entier, mais qui va tourner au drame. Personne n'oubliera dans la police française l'adresse du 9, rue Toullier... Il est 21h 30 lorsque le véhicule arrive sur les lieux. Tandis que le chauffeur va chercher une place pour se garer, le commissaire, les deux inspecteurs et le Libanais entrent dans l'immeuble. C'est une bâtisse vétuste du XIXe siècle, aux murs lépreux et aux escaliers très raides. Au deuxième étage, au bout d'un long corridor, on accède à un studio donnant sur la cour. Derrière la porte, on entend de la musique sud-américaine, qui résonne dans tout l'immeuble. Le commissaire sonne avec autorité. — Police, ouvrez ! Après une courte attente, un homme d'une trentaine d'années ouvre, sans éteindre la musique. Les policiers aperçoivent un groupe de jeunes du même âge. Moukarbal désigne l'un d'eux, un individu assez enveloppé, de dos. — C'est lui. L'intéressé se retourne et les considère d'un regard neutre. C'est un jeune homme au visage joufflu et aux grosses lunettes. (à suivre...)