Les années 70, ce n'est pas si loin, la plupart d'entre nous les ont vécues, et pourtant, à bien des égards, c'est un autre monde. Sur les plans économique, social et politique, tout est différent d'aujourd'hui. L'expansion est continue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La croissance tourne autour de 5% par an, le chômage est inexistant, les ménages s'équipent à une allure folle en biens de consommation. Les mœurs subissent le même bouleversement. Les règles de la morale traditionnelle volent en éclats. La nouvelle génération aspire à une sexualité libérée que permettent l'arrivée de la pilule et l'absence du sida. Et les femmes, qui revendiquent en outre l'égalité avec les hommes, sont à la pointe du combat. Mais à côté de cette évolution accélérée, la situation politique reste bloquée. Le monde est toujours divisé en deux blocs antagonistes et le communisme semble avoir de beaux jours devant lui. Mieux, il attire toute une partie de la jeunesse, révoltée par la guerre que mènent les Etats-Unis au Vietnam. Ses héros s'appellent Che Guevara, dont l'effigie romantique s'affiche sur les drapeaux et les t-shirts, et Mao, pour les plus extrémistes. Chez nous, tout cela a donné l'explosion de Mai 68, certes considérable, mais qui n'a rien eu de sanglant. Il n'en a pas été de même en Allemagne où la situation a été autrement dramatique. Et, dans le fond, cela n'a rien d'étonnant. Car c'est en Allemagne que les bouleversements ont été les plus profonds. Transformée en champ de ruines après la guerre, elle s'est redressée avec une telle rapidité qu'on a pu parler de miracle. Mais nulle part la coupure entre les deux blocs poli-tiques n'y est plus radicale. Ailleurs, elle est théorique, intellectuelle ; ici, elle est matérielle. L'Allemagne est divisée en deux pays opposés, Allemagne de l'Ouest et Allemagne de l'Est, fracture qui passe parfois entre les familles et qui est symbolisée physiquement par le sinistre mur de Berlin. Après le combat pour la mauvaise cause qu'ont mené leurs pères, les jeunes Allemands sont prêts à s'enflammer pour une lutte juste. Tous les éléments sont réunis pour que l'explosion ait lieu. Elle va se produire et elle porte à jamais un nom pour l'histoire la bande à Baader. Tout commence à Berlin-Ouest, en 1965. Un groupuscule extrémiste allemand prend le nom de «Viva Maria», d'après le titre d'un récent film à succès, avec Jeanne Moreau et Brigitte Bardot. Il regroupe cinq filles et neuf garçons, dont un jeune réfugié de l'Allemagne de l'Est, né en 1940, Rudi Dutschke, qui ne cessera par la suite de dénigrer son pays d'adoption. Il fait d'abord un séjour à l'université de Berkeley, en Californie, où il suit les cours d'Herbert Marcuse, le théoricien de la contestation. Il en revient avec des idées un peu confuses, prônant la liberté dans tous les domaines, à commencer sur le plan sexuel. Tout cela est résumé en une phrase, qui fleurira sur les murs de Mai 68 : «Il est interdit d'interdire.» Sur le plan politique, c'est pour le moins l'indécision. Le groupe s'engage résolument contre la guerre du Vietnam, mais à la suite de la mort d'un jeune Allemand qui avait tenté de franchir le Mur, il manifeste aux cris de «A bas Mao ! A bas Ulbricht», le dirigeant de l'Allemagne de l'Est. Progressivement pourtant, Viva Maria va s'installer sur une ligne d'extrême gauche. Fin 1966, une manifestation contre la guerre du Vietnam est violemment réprimée et lance véritablement le mouvement. En avril 1967, la venue du vice-président des Etats-Unis Hubert Humphrey donne lieu à des affrontements plus durs encore. Et il en est de même lors de la visite du shah d'Iran, un peu plus tard. (à suivre...)