Repère Le Miroir, essai publié en 1833 à Paris par Hamdan Khodja, reste un monument de la littérature algérienne. L?Algérie est une mosaïque de cultures, dont chacune est spécifiquement rattachée à une histoire, et dont cette dernière a produit une littérature typique, propre à son époque, à son contexte d?apparition ; celle-ci témoigne visiblement des différentes strates culturelles qui se sont accumulées au fil des siècles au gré des invasions et conquêtes. Il y a le patrimoine littéraire datant de l?antiquité en langue grecque ou latine, comme les récits de voyage d?Hannon le Carthaginois et l??uvre du grand roi Juba, ou encore Tertullien (L?Apologétique) et Saint Augustin, le fondateur du dogme catholique (Les Confessions, La Cité de Dieu, Le Traité du libre-arbitre?) ; il y a celui de la période médiévale en langue arabe, comme le philosophe Ibn Khaldoun avec La Muqadimma ou encore le poète Ibn Hâbi ou Ibn Rachiq ; il y a également, outre l?expression berbère ou celle des algérianistes comme Albert Camus ou Marcel Moussy, la littérature de langue française, une littérature écrite par des Algériens dits «indigènes» dans la langue de l?autre, celle du colonisateur ; celle-ci est née dans un contexte historique bien précis, celui de la colonisation. C?est au lendemain de la prise d?Alger par le corps expéditionnaire français, en 1830, qu?ont commencé, en effet, à poindre les prémices d?une littérature algérienne d?expression française. Cette littérature est née sous forme de prose d?idées. L?Algérien, en usant de la langue française, en se l?appropriant, construit d?abord sa littérature autour de l?essai. Hamdan Khodja, même si ce n?est pas lui qui l?a écrit en français, publie, en 1833 à Paris, Le Miroir, un livre qu?il avait rédigé auparavant en langue arabe et intitulé Aperçu historique et statistique sur la Régence d?Alger ; il l?a publié en français à l?intention du lectorat français, dans le seul dessein de sensibiliser l?opinion publique française, et dans lequel il décrit l?Algérie avant et après l?invasion. En fait, son essai, qui, jusqu?à présent, reste un monument de la littérature algérienne, vient renverser et annihiler le discours érigé et prôné par l?idéologie colonialiste et qui avance la thèse selon laquelle la présence française en territoire algérien s?inscrit dans une mission civilisatrice et humaniste et que les militaires français étaient venus à Alger pour libérer la population locale du joug de la domination turque. Or, Hamdan Khodja dénonce les exactions et les violences ainsi que les bavures commises par les militaires, arguant que les raisons qu?ils avancent ne sont, en fait, que des prétextes pour justifier l?occupation et la domination et démontrant que l?Algérie jouissait, avant la venue des Français, d?un statut civilisationnel. Ce livre, qui a eu un grand retentissement, ouvre la voie à un genre littéraire qui connaîtra «une postérité prolifique». Mais il a fallu attendre plusieurs décennies, puisque ce n?est qu?à partir de 1880 qu?une littérature, dite écrite par des Algériens dans la langue du colonisateur, fait son apparition, toujours sous la forme de l?essai, et cela jusqu?en 1920, date de la naissance du premier roman algérien de langue française. Les Algériens ont commencé à écrire dans la langue de l?autre, seulement pour témoigner de leur vécu, pour dire leur existence, parler de leur différence et décrire leur société, celle à laquelle ils appartiennent culturellement, en créant ainsi une écriture de la nomination et de la différenciation, en formulant un discours sur l?assimilation et, plus tard, sur l?identité.