Il est 10 heures du soir, ce 18 octobre 1878. Edgard Thomson, sa lampe à pétrole à la main, dépose un baiser sur le front de son épouse Cornelia. — Je vais dans mon bureau, ma chère. Je sens, ce soir, que l'inspiration est là... Il y a deux ans qu'Edgard et Cornelia Thomson se sont installés dans cette petite maison d'Evelyne Road, près du parc Saint John, dans une banlieue modeste de Londres. C'est un couple uni, sans histoires, même si Cornelia ne sait pratiquement rien des activités de son mari. La plupart du temps, il reste à la maison, mais il lui arrive de partir une journée ou deux. Edgard Thomson est rentier. Il se rend à Londres pour acheter et négocier des valeurs, et il rentre toujours avec quelque argent de ses déplacements. Mais il y a aussi son livre. Quand l'envie lui en prend, toujours la nuit, il s'enferme dans son bureau, au premier étage du pavillon, et n'en descend que le matin. Sur le sujet de l'ouvrage, il n'a rien voulu dire à sa femme. Il lui a simplement affirmé qu'il était sûr, grâce à lui, de conquérir le public : ce livre le rendrait riche et célèbre... Telle est la vie quotidienne du ménage Thomson. C'est un couple unanimement apprécié dans son quartier. La quarantaine tous les deux, sans enfant, ils font partie de nombreuses associations charitables. Pour le pasteur, ce sont ses meilleurs paroissiens. Edgard Thomson se fait remarquer au temple par sa voix particulièrement bien timbrée. Il donne également des représentations théâtrales pour les fêtes de charité, interprétant des rôles du répertoire classique, principalement Shakespeare. Cornelia adresse un sourire à son mari : — Bonne inspiration, Edgard, ne veillez pas trop tard. Pourtant Edgard va veiller fort tard et être bien mal inspiré ! Deux heures du matin viennent de sonner à l'église voisine. Le brigadier Edward Robinson est sur le point de terminer sa tournée d'inspection dans le quartier Saint John où la police a, depuis quelques semaines, renforcé sa surveillance à cause d'un voleur très audacieux. Un véritable acrobate qui s'introduit dans les maisons en grimpant aux façades et qui présente la particularité d'être mulâtre. Jusqu'à présent, il s'est montré aussi hardi qu'insaisissable. Cette fois pourtant, l'agent Robinson vient de surprendre une lueur suspecte dans un appartement au premier étage d'un petit immeuble. Il sait que deux de ses collègues patrouillent un peu plus loin. Il va les chercher. La lumière suspecte est toujours là : l'homme ne s'est pas enfui. Ils restent en faction un moment, puis ils voient la fenêtre s'ouvrir et quelqu'un descendre prestement en empruntant la gouttière. Pas de doute, c'est bien le mulâtre ! La suite est mouvementée. Edward Robinson s'élance, accompagné de ses deux collègues. Le voleur tire deux coups de feu sans les atteindre. Il s'ensuit une mêlée, au cours de laquelle le brigadier Robinson est blessé au bras par une balle, mais le mulâtre est maîtrisé et conduit séance tenante au poste de police de Greenwich, dont dépend le quartier Saint John. Là, l'homme est fouillé et l'on découvre sur lui tout l'arsenal du parfait cambrioleur à main armée. Outre son revolver, il possède deux couteaux à cran d'arrêt, une pince-monseigneur, un pied-de-biche et un jeu de fausses clés. Il n'a rien d'autre, en particulier pas le moindre papier d'identité. Il est interrogé sans tarder. — Comment t'appelles-tu ? — John Hard. — Tu as des complices ? — Non. — Où habites-tu ? Pas de réponse... — De quel pays viens-tu ? Quand es-tu arrivé à Londres ? (à suivre...)