Qu'y a-t-il de plus charmant qu'un village de Haute Provence ? Un clocher, les Alpes qui entourent la vallée, les troupeaux de moutons, un paysage à la Giono, et cette douceur, cet art de vivre, qu'on ne retrouve nulle part ailleurs. Tout le monde se connaît, le maire, le curé, l'instituteur, le facteur, l'épicier ; on se retrouve le soir devant un verre au café ou les uns chez les autres devant la télévision. On s'aime bien, même si l'on n'est pas toujours du même avis. En fait, tout se passe en famille. Mais le village n'est-il pas autre chose qu'une grande famille ? Oui ! Que pourrait-il se passer alors dans ce cadre pastoral, idyllique ? On est en famille, n'est-ce pas ? Oh, à une exception près, évidemment : comme dans toutes les familles, il y a des brebis galeuses. Dans le cas présent, ce sont les Domingo. Ils sont pourtant au village depuis une vingtaine d'années ; ils habitent une petite maison un peu à l'écart. Ils ont un métier, ils sont vanniers. Depuis vingt ans, ils connaissent tout le monde et tout le monde les connaît. Les enfants, Manuel, José et Anita, ont grandi sur les bancs de l'école communale avec les autres. Mais malgré tout cela, ils ne sont pas du village. D'ailleurs, on qualifie d'étrangers ceux qui sont natifs du village d'à côté à quelques kilomètres dans la vallée. Alors les Domingo, des gitans, ce ne sont pas des étrangers, eux, ce sont des êtres d'une autre planète ! Et si, dans ce petit village tranquille, pastoral, idyllique, qui vit au rythme de son clocher, si jamais il se passait quelque chose de vraiment extraordinaire, un meurtre par exemple, n'auriez-vous pas une petite idée de ceux qu'on accuserait ? Roger Martial est le facteur. Un brave gars, sympathique, qu'on n'hésite pas à retenir chez soi pour faire la causette et boire le verre de l'amitié. Un beau gars aussi, qui n'a pas la langue dans sa poche et qui n'est pas le dernier à faire sa cour aux filles. Célibataire, vingt-cinq ans, Roger Martial en intéresserait plus d'une. Mais aucune fille du village ne l'épousera. Le 11 décembre 1970, un berger découvre sa voiture dans un petit chemin pas loin de la route. Sur le siège avant, Roger Martial est effondré, abattu de trois coups de revolver. Au village, c'est l'ahurissement, la stupéfaction. — Un crime chez nous, et Roger, un gars si tranquille ? Sans doute tout le monde a-t-il dès ce moment une petite idée derrière la tête, et sans doute cette idée est-elle la même pour tout le monde, mais pour l'instant on ne dit rien parce qu'on n'accuse pas les gens comme cela. — Ce qui est sûr, en tout cas, répètent les gens, c'est que ce n'est pas un gars de chez nous qui a fait le coup. L'autopsie établit que la victime a été tuée la veille de sa découverte, donc le 10 décembre, entre 12h 30 et 12h 40. C'est un point qui a son importance. Ensuite, les gendarmes apprennent sans trop de peine que, le 10 décembre, Roger Martial a pris l'apéritif vers midi au café du village en compagnie d'un des fils Domingo, José. Il est ensuite allé chez sa mère, à qui il a dit : — Je vais conduire l'autre au village d'à côté. Qui est l'autre ? La mère, qu'on interroge, ne le sait pas. Mais si c'était un garçon du village, Roger Martial l'aurait appelé par son prénom, Pierre, Paul, Jacques ou Jean. «L'autre», c'est forcément l'étranger, et l'étranger, c'est le gitan. L'enquête se poursuit et on découvre que, depuis quelques mois, Roger Martial courtisait la fille Domingo, Anita, une belle brune que beaucoup de garçons du village convoitent, mais qui les a tous repoussés jusque-là. Mme Domingo mère ne fait pas mystère devant les enquêteurs de l'attitude de Roger Martial vis à vis de sa fille, pas plus d'ailleurs que de ses sentiments à l'égard du jeune homme. Certes, il n'y avait rien entre eux, elle en est sûre, mais elle avait plusieurs fois conseillé à Anita d'éconduire le prétendant. (à suivre...)