Dans La Traversée qui vient clore le cycle de l?écriture romanesque de Mouloud Mammeri, l?écrivain s?investit plus dans la création poétique, le choix de la rhétorique et la recherche d?une nouvelle esthétique que dans la description de la société. Ce qu?il faut retenir de La Traversée, c?est qu?elle est l?écriture du désenchantement, du rêve évanoui ; elle est l?écriture d?un constat amer, déchirant. Le roman s?ouvre d?emblée sur un rêve qui a tourné court, celui de Mourad, pivot du récit ; il raconte un personnage à travers lequel vient se refléter l?image d?un peuple, «un peuple pris en otage», dont la liberté (thème principal du récit) se trouve en détention, entre les mains de l?idéologie dominante, qu?est l?institution politique. Allant d?une désillusion à une autre, d?un échec à un autre, Mourad prend conscience de l?imposture derrière laquelle se dissimule l?institution politique lorsque son article est censuré parce qu?il est jugé «trop vrai», il finit par ne plus croire en rien, ni à sa vérité ni à celle des autres, il finit par démissionner de son travail, de son entourage, de l?amour, et même de soi, de la vie, car pour lui, rien n?a plus de sens, l?existence, son existence, n?est qu?illusoire. Il tente néanmoins, et une dernière fois, de s?attacher à son idéal, à ses aspirations, en allant dans le désert, mais sa quête s?avère vaine. Mourad, résolu, se laisse mourir, là où l?histoire a commencé, avec Mokran, dans La Colline oubliée. Roman du dévoilement et du réalisme, La Traversée, qui est «le temps d?une grave désillusion amère et pessimiste», cristallise la réalité d?une Algérie désenchantée. Il s?agit d?une écriture prémonitoire, puisque les problèmes posés à l?époque où le roman a été écrit sont ? et restent ? d?actualité : une Algérie tiraillée, écartelée par diverses idéologies ; une Algérie en proie à une situation conflictuelle ; une Algérie mystifiée.