Nous sommes en 1807, au fin fond des Pyrénées, au pied du Montcalm qui culmine à plus de 3 000 mètres. C'est le printemps et un groupe de chasseurs venu de la ville parcourt ces vallées désertiques et sauvages dans l'espoir d'en ramener un bel isard à longues cornes, ou quelque autre gibier de qualité. Or, on sait que ces lieux inhospitaliers sont aussi fréquentés par des ours peu commodes. — Surtout si l'on tombe sur une femelle accompagnée de ses petits. Ces mères de famille sont fort capables de vous égorger d'un coup de patte. Alors ces messieurs de la ville, avec leurs guêtres et leurs longs fusils, s'efforcent de marcher d'un pas mesuré et silencieux, l'œil aux aguets. — Oh ! mes amis ! Regardez là-bas ! Est-ce que vous voyez ce que je vois ? Alors que le soleil se lève à peine, chacun regarde dans la direction indiquée par celui qui vient de rompre le silence des marcheurs. — Où ça ? — Là-haut ! Regardez... au bord du précipice ! Est-ce que j'ai la berlue ? — On dirait une femme. Mais... Jésus, ce n'est pas possible : elle est entièrement nue ! — Croyez-vous qu'il s'agisse d'une sorcière ? Ou d'une diablesse ? — Attendez que je prenne ma longue-vue. Mais non, il s'agit bien d'une femme. Entièrement nue. Elle examine le fond du ravin. Et elle ramasse des herbes qu'elle porte à sa bouche. — Et si nous parvenions à l'attraper ? — Ma foi, notre devoir de chrétiens nous impose de lui porter secours. Ne serait-ce que pour lui fournir une tenue plus décente. Ainsi commence l'histoire de la «femme nue des Pyrénées». Les chasseurs, oublieux pour un moment de leur désir de ramener du gibier, s'élancent sur les pentes escarpées. Ici point de sentier, ou alors ce ne sont que des coulées tracées par le passage de quelques troupeaux au printemps. Cependant, la femme nue avait cessé de scruter le ravin. Elle relève la tête. A présent on voit qu'elle est mince et que sa peau est brunie par le soleil. Ses longs cheveux pendent presque jusqu'à ses genoux. C'est là son seul vêtement. Elle vient d'apercevoir le groupe de chasseurs. Loin de leur faire un quelconque signe de bienvenue, la femme, qui peut avoir entre 30 et 40 ans, se relève d'un bond et prend son élan. Avec une souplesse surprenante elle escalade, malgré ses pieds nus, la rocaille. Aussi vite qu'un isard apeuré ! Et elle disparaît en haut de la montagne. Les chasseurs déconfits voient un instant sa silhouette qui se détache sur le disque rougeoyant du soleil naissant. Puis, plus rien ! L'histoire ne dit pas si cette partie de chasse est couronnée de succès, et il y a fort à parier que les chasseurs ont hâte à présent de rentrer au bercail pour raconter leur vision et essayer d'en savoir plus sur cette créature en tenue d'Eve. Les voici donc qui regagnent le village de Suc et, dès qu'ils arrivent à l'auberge, ils racontent en parlant tous à la fois leur rencontre incroyable. — Il faut rattraper cette pauvre créature et la ramener à la civilisation chrétienne. — Pourquoi croyez-vous qu'elle est chrétienne ? Quant à être civilisée, elle paraît tout à fait sauvage. Le lendemain, un nouveau groupe se forme. Les messieurs de la ville, bien équipés, sont là au complet. Mais ils se sont adjoint quelques bergers du village qui connaissent mieux les vallées sombres et les ravins escarpés de la montagne. On part au cœur de la nuit. Chacun a emmené son chien pour suivre le gibier humain à la trace. Quand le soleil se lève, quelqu'un sous le pic Montcalm s'écrie : — Regardez, la voilà : c'est elle, c'est la «bioundina !» La femme nue est là, presque au même endroit que la veille. Cette fois, elle est en train de se désaltérer à l'eau glacée d'une source. — Regardez ! Il y a quelque chose qui bouge derrière elle. (à suivre...)