Il était une fois un vieux qui avait trois fils. Le troisième, Ivan-l'Idiot, ne faisait rien et restait toute la journée assis sur le poêle à renifler. Le père sentant venir la mort dit : «Mes enfants, quand je serai mort, venez sur ma tombe chacun à votre tour trois nuits de suite !» Il mourut et on le mit en terre. La première nuit. C'est le fils aîné qui devait aller le veiller mais est-ce par peur ou paresse il hésita et dit au plus jeune : «Ivan, toi qui n'as rien à faire, va donc sur la tombe de notre père et veille pour moi !» Ivan s'équipa, gagna la tombe, s'y allongea. A minuit pile, la tombe s'ouvre, le vieux sort et demande : — Qui est là ? Toi, mon fils aîné ? — Non, père ! C'est moi, Ivan ! Alors, le reconnaissant, le vieux dit : — Pourquoi mon fils aîné n'est-il pas venu ? — II m'a envoyé, père ! — Grand bien te fasse ! Et le vieux siffle d'une voix tonnante : Cheval brun, cheval bai, Coursier sage et avisé, Surgis soudain devant moi, Comme sur l'herbe la feuille des bois ! Sivka-Bourka court, la terre tremble, de ses yeux jaillissent les flammes, de ses naseaux s'échappe la fumée. Le vieux prononce : «Tiens, mon fils, voici un bon cheval ! Et toi, Sivka-Bourka, sers mon fils comme tu m'as servi !» Et le vieux se recoucha dans la tombe. Ivan flatta Sivka-Bourka, le caressa... puis, le laissant aller, il retourna au logis où ses frères l'assaillirent de questions : «Alors, Ivan, ça s'est bien passé, cette nuit ? - Mais, très, très bien mes frères !» La deuxième nuit était arrivée. Le frère cadet ne voulait pas non plus passer la nuit sur la tombe : «Ivan, dit-il, va sur la tombe de notre père ! Passes-y la nuit à ma place !» Sans se faire prier, Ivan se rendit jusqu'à la tombe, s'allongea et attendit... A minuit, la tombe s'ouvre, le père sort et dit : — Est-ce toi, mon fils cadet ? — Non, répond l'idiot, c'est encore moi, père ! Le vieux se met à crier, à siffler d'une voix tonnante : Cheval brun, cheval bai, Coursier sage et avisé, Surgis soudain devant moi, Comme sur l'herbe la feuille des bois ! Cheval bai court, de ses yeux jaillissent les flammes, de ses naseaux s'échappe la fumée. «Cheval mage, sers mon fils comme tu m'as servi !» Sur ces mots, le vieux dit adieu à son fils et se recoucha dans la tombe. Ivan flatta Cheval mage, le caressa... puis, lui rendant la liberté, il rentra au logis où les aînés derechef' s'inquiétèrent : «Alors, Ivan, cette nuit ? — Tout va bien, tout va bien, mes frères !» Le temps passa, les deux aînés travaillaient... Ivan, lui, ne faisait rien. Un beau jour, sur la place publique, le tsar fit crier ceci : «La main de la princesse sera accordée à celui qui réussira à décrocher son portrait suspendu au balcon de la maison royale !» Les frères aînés résolurent d'aller voir qui décrocherait le portrait. Assis derrière le poêle, Ivan passa la tête : «Frères, donnez-moi un cheval, que j'y aille moi aussi !» Ceux-ci s'esclaffèrent : «Ah, ah, l'Idiot ! Mais tu veux faire rire le monde ! Reste donc sur ton poêle ! Qui a besoin de toi ?» Mais allez vous débarrasser d'Ivan ! (à suivre...)