Dès le jour de l'ouverture de la chasse, les campagnes et les bois résonnent de coups de fusil. Dans tous les sens. Les amis des bêtes s'énervent et vouent les chasseurs à l'enfer. Mais parfois l'enfer vient tout seul. En tout cas, si ce n'est pas l'enfer c'est le purgatoire... François, 45 ans, a une femme et trois filles. Dès l'ouverture de la chasse, François enfile son «uniforme» : des boots bien chaudes, un pantalon et une belle casquette de camouflage, une veste kaki doublée de mouton, puis il prend son fusil et dit à son épouse : — A ce soir ! Je vais te rapporter quelque chose de bon : un lièvre ou deux. Ou peut-être une perdrix. Ou un faisan. — Oui, c'est ça mon chou : un faisan. Pourquoi pas deux pendant que tu y es ! On pourrait inviter mes parents et ta sœur ! François n'apprécie guère ce genre d'humour. Surtout que Cécile, sa femme, ajoute en lui entourant le cou avec une belle écharpe écossaise : — Sois prudent et ne rentre pas trop tard ce soir... J'ai prévu une timbale de macaronis... Les trois filles se mettent à danser en chantant sur l'air des lampions : — Des macaronis, des macaronis, avec du fromage ! Aujourd'hui, François a décidé de chasser seul. Ce n'est pas prudent ! Depuis quelque temps, il se sent déprimé. Même les copains chasseurs lui tapent sur les nerfs. Toujours les mêmes plaisanteries. En dessous du niveau de la ceinture. Et les déjeuners de chasseurs : on boit trop, on mange trop, et la journée qui n'en finit plus... Alors François monte dans son 4x4 et part vers le plus profond de la forêt des Ardennes. Tirer quelques coups de fusil, ça va lui remettre les nerfs dans le bon sens... Il a emporté son caméscope : on ne sait jamais ! Au bout de quelques kilomètres, François s'arrête. Il connaît le coin de réputation. Il paraît même qu'il y a du sanglier dans les parages. Bien sûr, ce n'est pas le même fusil pour le lièvre et le sanglier mais François s'est récemment offert - en secret -, l'arme qui doit pulvériser tous les cochons sauvages. Il la sort de son étui et s'exclame : — Magnifique ! Si avec ça je ne fais pas une hécatombe ! François, qui ignore qu'une hécatombe est en fait le massacre de cent bœufs pour honorer les dieux de l'antiquité grecque, se contenterait d'un seul «bestiau». Il ouvre la boîte de balles et en glisse dans l'arme à double canon. Puis, il sort de son véhicule bien garé sur le bas-côté. Il ferme le 4x4 à clef et s'enfonce dans le bois touffu après avoir crié, comme ça, pour le plaisir : — Taïaut ! Taïaut ! Ses gros souliers de cuir écrasent les feuilles mortes et les bogues de châtaignes. De temps en temps, il aperçoit des champignons. Mais il est trop tôt pour ramasser des bolets. François grogne : — J'espère bien que je ne vais pas partir avec un fusil pour le sanglier et rentrer avec des bolets et des trompettes de la mort ! C'est bon, mais quand même, de quoi j'aurais l'air ! C'est en remontant d'une petite cuvette pleine de feuilles mortes que le miracle a lieu : François se trouve presque nez à nez avec un solitaire : Un gros sanglier qui n'a pas l'air bien aimable. François marchait avec son fusil à l'épaule. En fixant le sanglier qui est occupé à farfouiller et à se gaver de glands, il fait glisser l'arme, épaule et tire. — Ça y est ! Je l'ai eu ! Je l'ai eu ! Mais François a presque honte. Il a foudroyé le sanglier alors que celui-ci était occupé ailleurs. Cela aurait été plus glorieux si l'animal l'avait regardé dans le blanc des yeux. Un combat d'homme à homme en quelque sorte... — Bon, c'est pas tout ça. Comment vais-je le transporter ? C'est que la bagnole n'est pas tout près ! Je vais aller à la voiture pour chercher une corde. Le mot «corde» porte malheur au théâtre et aussi sur un bateau. Que dit la tradition des chasseurs ? Mystère ! (à suivre...)