Mélanie De Kleerke est assise sous un parasol dans le jardin de sa villa très cossue des environs de Bruges. — Bernie, Suzana ! Arrêtez un peu de faire les fous ! Allez-vous laver les mains. Il est l'heure du goûter ! Et que je n'aie pas besoin de le dire trois fois ! Bernie, le garçon, n'a que 3 ans. Il en est encore au stade où l'on découvre le monde. Pour l'instant le monde de Bernie ce sont ses parents, sa grande sœur et le très joli jardin de la villa bourgeoise des De Kleerke. Suzana arrête le jeu qui fait tellement rire son petit frère. Couchée sur le dos, elle le tient à bout de bras et le fait sauter en l'air, sans le lâcher. Bernie adore ces sensations «fortes». Suzana a 13 ans et elle sait qu'elle doit obéir à sa mère sans discuter. D'ailleurs, la perspective du goûter l'inciterait à obéir si besoin était. Elle se met sur ses pieds et prend Bernie par la main pour l'entraîner vers la cuisine. Là, elle perche Bernie sur un tabouret et lui lave les mains sous le robinet. Puis les deux enfants reviennent en courant. Mélanie De Kleerke fait l'inspection des mains encore humides. — Bon, installez-vous à l'ombre, je reviens tout de suite. Mélanie s'éloigne d'un pas rapide. Elle pénètre dans la cuisine et en ressort bientôt avec un plateau chargé de jus de fruits frais, de pain beurré et de confitures. Il y a aussi des bonbons. Pas étonnant que Suzana commence à être un peu dodue. Comme sa mère d'ailleurs. Suzana, qui joue avec sa poupée, dit : — Maman, il y a un monsieur derrière la haie. Mélanie pose le plateau sur la table de fer : — Quel monsieur ? — Pendant que tu étais dans la cuisine, il y avait un monsieur qui a essayé d'ouvrir la grille. Mélanie regarde autour d'elle. Pas trace. — C'était le facteur sans doute. — Non, ce n'était pas le facteur. Le facteur tire la sonnette quand il a besoin de te donner un paquet. Il avait une drôle de tête. Il n'était pas rasé et avait un chapeau tout cabossé. C'était un clochard, je crois... Suzana est une petite fille qui se montre toujours prudente dans ses affirmations : un clochard «peut-être». Mélanie fait une petite grimace. Ce quartier résidentiel est rarement fréquenté par les clochards. Autant dire qu'on n'en voit jamais aucun. Ils auraient vite fait d'être repérés par la police. Et pourquoi ce «clochard» aurait-il essayé d'entrer dans le jardin de cette villa très bourgeoise ? Mélanie regarde encore autour d'elle, et au bout de l'allée elle voit effectivement, dépassant de la haie, une tête masculine. L'homme s'éloigne dans l'avenue et jette justement un regard vers Mélanie et ses deux enfants. Il est déjà dans l'ombre des platanes. Mélanie lui trouve un regard brillant de mauvaises intentions. — Ne vous goinfrez pas de nourriture comme des petits cochons. Bernie regarde sa mère : pourquoi Maman trouve-t-elle anormal de se barbouiller avec de la confiture de fraises ? C'est un des plaisirs du goûter. Quand Xavier De Kleerke rentre en fin de journée, un peu fatigué mais heureux de tous les bons de commande qu'il est parvenu à faire signer, Mélanie lui prépare un apéritif qui le détend un peu. Puis, elle en vient très vite à l'«incident» du clochard. — Je ne l'ai pas vu tenter d'entrer mais Suzana l'a vu. N'est-ce pas Suzana ? Suzana, la bouche pleine de cacahuètes, répond en mâchouillant : — Oui, il avait une drôle d'allure. Il m'a fait peur. Dis, papa, si maman n'avait pas été là et si le bonhomme était entré, qu'est-ce que j'aurais pu lui dire ? Xavier et Mélanie soupirent, un peu perplexes. Mélanie dit : — Après tout c'est vrai ! Quand je vais faire une course en ville, Suzana reste seule avec Bernie. (à suivre...)