Blida Selon la légende, un jour, dans l?ombre d?une maison rurale, une «ombre», «une femme», étrange et étrangère à la région, a été aperçue accroupie devant le plat où l?on avait servi le couscous de la famille. Connue à juste titre sous le nom de la ville des Roses, Blida, avec ses belles demeures aux terrasses ressemblant à de véritables jardins, son vieux quartier, parsemé de boutiques qui constituent un lieu de prédilection pour les futures mariées à la recherche de soieries et autres tissus précieux, est un creuset d?art et une mémoire. Ville d?artistes et d?hommes de culture recélant des talents ayant laissé à la postérité des ?uvres, un véritable patrimoine national. A ce titre, on peut citer Baya, une grande dame de la peinture algérienne qui déjà, dans les années quarante, avait exposé aux côtés de Picasso, son époux Hadj Mahfoud, un musicien dont la voix cristalline a suscité et continue de susciter l?admiration de générations de fins mélomanes, et l?interprète et musicien à la sensibilité à fleur de peau, Abderrahmane Aziz, dont la génération des cinquante ans et plus fredonne encore aujourd?hui la chanson Ya Mohamed mabrouk a?ilik El Djazaïr oualet lik, un hymne à la mère patrie et un hommage appuyé à nos chouhada. Blida c?est aussi cette culture populaire faite de raffinement et de bon goût comme en témoignent ces ?uvres artisanales telles que la broderie, la «chbika», «el-gerguefe» et «el-mesloul» réalisées par des doigts de fées et que des familles transmettent jalousement à leurs filles et ce, à travers des décennies, voire des siècles. Blida, ce sont aussi ses souks et ses enivrantes senteurs, un lieu vivant où cohabitent harmonieusement les parfums du musc, «ezhar», de l?eau de rose, du henné et autres produits confectionnés un peu à la manière des sortilèges. Blida, ce sont aussi les fêtes traditionnelles fastueuses d?antan, célébrées dans la fraîcheur des soirées et dont nos mères gardent le souvenir quelque part au fond de leur mémoire. Blida, ce sont ses us, ses traditions, ses contes et légendes, un peu disparus et que de vieilles dames, portant avec élégance des «sérouals», des tuniques brodées et des foulards «mhirmet leftoul», se rappellent avec une pointe de nostalgie. Des contes merveilleux, des histores et légendes où cohabitent le romanesque, le merveilleux et le sensationnel, telle celle de Lalla Djemia, dont les grand-mères gardent encore quelques traces au fond de leur mémoire. Selon la légende, un jour, dans l?ombre d?une maison rurale, une «ombre», «une femme», étrange et étrangère à la région, a été aperçue accroupie devant le plat où l?on avait servi le couscous de la famille. Elle mangeait ou faisait mine de manger en disant à ceux qui l?avaient surprise : «Votre mère Djemia a mangé, elle est rassasiée, que votre fortune prospère. J?aime ceux qui m?offrent l?hospitalité et me préparent le plat traditionnel des hôtes.» Le temps que les hôtes ébahis se rapprochent, l?ombre a disparu laissant derrière elle une autre légende que voici. On raconte que dans les années 1910, une femme du nom de Mahdjouba tissait toutes les nuits y compris le vendredi sans se soucier des interdictions. Une nuit, elle vit entrer dans la chambre où était dressé le métier à tisser une femme tenant à la main une botte d?alfa. L?inconnue s?assit en face d?elle et se mit à tisser aussi, mais en entrelaçant de l?alfa dans la trame et en disant : «Tu tisses de la laine et de l?alfa !» Quand elle eut fini, elle se leva et vint passer sa main sur les yeux de la tisseuse entêtée et partit en lui disant : «Si l?on te questionne, dis que c?est Djemia qui a tissé cet alfa et t?a frotté les yeux de sa main.» Le lendemain, la femme perdit la vue. Les vieilles femmes auxquelles elle raconta sa mésaventure, lui conseillèrent de brûler des parfums et de sacrifier un coq. Ce qu?elle fit et retrouva la vue. La trame d?alfa tendue par Djemia avait disparu dès le lendemain matin.