Il était beau l'arbrisseau qui poussait près de la source. Mais à part un vieil homme qui venait le matin et le soir puiser son eau quotidienne, personne n'était là pour admirer sa jeune verdure tendre. Il faut dire que la source se cachait bien sous les taillis sauvages qui envahissaient la colline; et son filet d'eau était trop mince pour intéresser les gens du village d'en bas. Excepté le vieil homme qui venait fidèlement quérir son eau chaque jour. Aussi le voyait-il, lui, l'arbrisseau. et il savait que c'était le petit d'un chêne, depuis le temps qu'il le voyait se frayer son espace bien droit, bien fier parmi les ronces et les herbes folles qui couvraient le sol. Or, ce matin, le vieil homme fit bien plus que lui jeter le simple coup d'?il dont il le gratifiait d'ordinaire: il s'arrêta carrément devant lui. Les deux jerricanes vides posés à gauche et à droite de ses pieds, il entreprit de l'examiner longuement en hochant la tête. Puis il finit par reprendre ses jerricanes pour aller les remplir à la source qui bruissait doucement à côté. Sa tâche finie, il n'eut pas un regard pour le petit arbre lorsqu'il repassa devant lui. Pourtant le soir même, le vieillard s'arrêta de nouveau devant lui. Sous la casquette usée, les yeux se plissaient d'attention. Et il parla. - Te voici devenu bien fort en ce nouveau printemps. Tu arrives à hauteur de mes genoux... ce n?est pas mal après avoir eu à supporter les ardeurs d'un été brûlant et les rigueurs d'un hiver qui a gelé bien des jeunes pousses. Tu es de ce bois qui fait les chênes plusieurs fois centenaires. Demain matin, à l'aube, je viendrai te chercher pour t'emporter dans le jardin de mon petit-fils où tu continueras ta croissance. Un sacré gamin celui-là, tout comme toi, bien droit, bien fiérot. Vous formerez une bonne paire tous les deux à pousser ensemble... une bonne paire ! Et le vieux prit ses jerricanes pour les remplir à la source. Il hochait doucement la tête avec la mine de celui qui a pris une sage décision. Le lendemain, quand le soleil se leva sur la colline, le vieux était déjà au pied du petit arbre, ainsi qu'il l'avait dit. Mais au lieu de porter ses jerricanes habituels, il s'était muni d'un sac et d'une bêche. - Aujourd?hui est un bon jour, dit-il simplement. Et il planta la bêche en terre, au pied de l'arbrisseau. A peine avait-il poussé sur la bêche avec son pied, qu'il entendit une jeune voix crier : «Arrête grand-père !» Le vieux se retourna. Il était seul dans la fraîcheur du matin. Pourtant il avait, bien entendu, cette voix parmi le concert fracassant des oiseaux ! serait-il devenu gâteux avec l'âge ? Il haussa les épaules et appuya de nouveau son pied sur la bêche. La terre était grasse à cet endroit, la bêche s'enfonça aisément. (à suivre...)