Regard Les candidats se disputent âprement une ville qui se dit toujours apolitique. Oran?. par quoi commencer ? Une ville immense, dont les artères droites cèdent un peu de jovialité à des venelles sinueuses, ne peut offrir meilleur plat d?entrée qu?un éreintant, mais ô combien attrayant pèlerinage sous les majestueux palmiers du Front de mer. Ils sont là depuis un siècle, veillant à dompter les vents marins pour en faire une brise nonchalante au-dessus de couples croquant le romantisme à belles dents. La politique ? La trop orgueilleuse ville n?en a pas besoin pour vivre. Il suffit de prendre un taxi, sillonner ce qui peut l?être, dans les embouteillages d?El-Bahia pour apprendre que les affiches des Bouteflika, Benflis, Louisa Hanoune et consorts sont loin d?avoir le même impact que celui des posters des princes du raï pour se rendre tout à coup à l?évidence que les slogans à l?estampille des candidats à la présidentielle sont presque inaudibles face à Wahran Wahran de Ahmed Wahbi ou Trig lycée de Khaled, deux éternels candidats à leur propre succession dans le c?ur des Oranais. Sur le mur d?un immeuble, une grande affiche annonçant un concert du roi Khaled est intacte, sans la moindre égratignure, depuis? 2002 ! A Oran, on peut tout oser sauf les crimes de lèse-majesté. «Ce qui intéresse les Oranais ce sont les affaires. Pas les grosses affaires mais les affaires !» Notre interlocuteur, un vieux briscard qui se dit Wahrani de souche et heureux d?être né la même année que le MCO, le club d?El-Hamri, ne daigne pas nous en dire davantage : «Shabi (mes amis)?allez voir dans les quartiers?», nous lance-t-il en nous laissant sur notre faim avant d?aller rejoindre un ami, posté, lui, devant un café dans la tumultueuse et non moins joviale rue Khemisti. Même «topo» à la place d?Armes, mais cette fois, les affiches s?entremêlent et disputent, depuis le début de la campagne électorale, la vedette aux belles et imposantes stèles, en face de l?opéra de la ville fermé de longue date faute d?alto et de soprano. Les autres monuments, marque de sécularité de la ville, sont, eux aussi, face au péril de la disparition. Le musée Zabana, à dix minutes de marche du théâtre de Verdure, ne fait plus recette. Santa Cruz, d?où l?on peut scruter les lumières de la lointaine Alicante quand le ciel est clément et clair, ne connaît plus les ruées d?antan et la «Montagne des lions» est, elle aussi, moins attractive qu?auparavant. Il reste alors Oran, Wahran, El-Bahia, autant «d?onomatopées» qu?on ne retrouve pas ailleurs. Et c?est au c?ur de la ville que les six candidats essayent de faire le forcing dans ce qui reste comme laps de temps dans la folle quête des voix. Si le camp de Bouteflika dont on dit qu?il est «chez lui» a choisi un bel édifice sur le Front de mer, celui de Benflis a élu domicile au siège du FLN, un quatre-étages, heureusement solide sur ses squelettiques piliers. Ironie du sort, ou choix prémédité, la permanence n?est autre que l?ancien QG de la défunte BCIA, emportée comme on le sait par le même vent de scandale financier qui a fait chavirer le bateau Khalifa. Les autres candidats ont visiblement évité le style «chic» de la rue Khemisti ou de l?avenue Ben M?hidi pour se rapprocher de plus près du petit peuple et grignoter ainsi quelques points précieux lors du décompte final. Mais dans une région qui a son propre «label» apolitique, on préfère surtout parler de problèmes plus urgents, comme les coupures d?eau, les immeubles qui menacent ruine, les agressions de jour comme de nuit, les immondices qui s?amoncellent et la gaieté qui, en s?amenuisant, laisse apparaître des rides sur les visages.