Escalade n Des opposants éreintés à la tête pansée et sanguinolente circulent dans le soleil levant, entre pierres et gravats, barricadés dans le centre du Caire après une nuit d'affrontements meurtriers avec les forces loyales au Président Hosni Moubarak. «Bienvenue dans la ville libre», lance un jeune homme, gilet rouge, les traits tirés, à l'entrée de la désormais emblématique place Tahrir, au cœur de la capitale égyptienne. On y pénètre par un point de contrôle fait de palissades en tôle ondulée et de voitures calcinées. Des milliers d'hommes blessés errent, dorment, recroquevillés, sur les rares coins de gazon souillé, ou chantent des slogans antigouvernementaux belliqueux. «Le peuple veut l'exécution du boucher !», scandent les militants, qui, la veille, voulaient «la chute du régime». Des opposants ont enfermé des pro-Moubarak qu'ils ont capturés au cours de la nuit dans des bouches de métro de la place Tahrir, avant de les remettre aux militaires en faction aux abords. Dans une clinique improvisée à l'intérieur d'une mosquée accessible par des ruelles jonchées d'ordures, des dizaines de blessés se reposent avec le personnel médical, affalés sur le sol. «Nous avons soigné plus de mille blessés», souffle dans un filet de voix le docteur Amr Bahaa, épuisé. Le ministère de la Santé égyptien, cité par la télévision d'Etat, a fait état, ce matin, de 5 morts et 836 blessés place Tahrir ces 24 dernières heures. «A quatre heures du matin, des policiers en civils et des criminels sont arrivés sur le pont du 6-Octobre – qui surplombe la place Abdelmoneim-Ryad – et ont commencé à nous tirer dessus», enrage Aley, un jeune homme blessé à la tête. «Mais l'armée n'a rien fait, elle est restée impassible», lance-t-il. Des hommes sanguinolents ont été transportés à l'hôpital Kasr-al-Ayni, où les ambulances défilaient encore à la levée du jour. Un homme la tête ensanglantée, inconscient, est transporté sur le capot d'une voiture, à la sortie de la place Tahrir. «Il y a eu quatre morts, dont un qui a reçu une balle en plein front», note le docteur Mohamed Ismaïl, qui soigne des blessés devant le musée égyptien, alors que les jets de pierre et les cocktails Molotov fusaient toujours à 6h30 ce matin. Des milliers de roches concassées, projectiles en devenir, jonchent le sol, et des opposants testent l'élastique de leurs lance-pierres. «Tout le monde ici est blessé mais nous allons rester», assure Mohamed Adil, 30 ans. «Nous nous attendons à ce que des gens viennent nous soutenir. Nous sommes prêts à mourir ici s'il le faut», ajoute-t-il.