Analyse n L'attentisme apparent de l'armée égyptienne qui dit ne pas vouloir user de la force contre les manifestants mais sans s'opposer aux attaques contre eux, suscite des interrogations et une certitude : son rôle sera décisif dans toute issue à la crise, sanglante ou politique. Complicité avec la répression policière, prudence face à une situation mouvante, hiérarchie divisée, volonté de gagner du temps pour protéger M. Moubarak ou négocier une transition : les spécialistes s'interrogent sur les raisons de cette attitude. Ces questions «montrent que beaucoup de choses bougent au sein du système et de l'armée», assure un diplomate occidental ayant requis l'anonymat. Selon la journaliste Christiane Amanpour de la chaîne américaine ABC, le vice-président Omar Souleimane, rencontré lors d'une interview avec M. Moubarak au Caire, lui a dit jeudi que l'armée déployée en renfort n'utiliserait «jamais» la force contre la population. Le premier officiel à se rendre en personne sur la place Tahrir au Caire, tenue par les insurgés anti-Moubarak, a été, hier, le ministre de la Défense, Mohamed Hussein Tantaoui, venu «inspecter la situation». «L'Armée ne veut pas donner l'impression d'intervenir, parce qu'elle veut prendre le pouvoir. Elle attend qu'on le lui demande, pour apparaître comme un sauveur», estime Imad Gad, du centre d'Etudes Al-Ahram du Caire. L'armée a donné au pays tous ses Présidents – Mohamed Naguib, Gamal Abdel Nasser, Anouar al-Sadate et Hosni Moubarak – depuis le renversement de la monarchie en 1952. Loyale à un régime dont elle constitue l'épine dorsale, elle est aussi respectée par la population, un héritage qui tient à une tradition de non-intervention face aux émeutes populaires et au souvenir des guerres israélo-arabes. Pour Tewfik Aclimandos, spécialiste de l'Egypte, en particulier de son armée, au Collège de France, plusieurs explications peuvent être données : — «Il peut s'agir d'un partage des tâches, sur le modèle - bon flic, méchant flic -» entre la police et les hommes de main du régime pour attaquer les manifestants, et l'armée pour donner une fausse image de neutralité. — «L'armée ne saurait pas faire du maintien de l'ordre». Elle n'en a ni la tradition, ni la formation, ni l'envie et il est difficile de demander à des conscrits d'ouvrir le feu sur des civils. — L'indécision des militaires sur le terrain reflète celle de leur hiérarchie et du régime. «Ils n'ont pas d'instructions du sommet, parce que le sommet lui-même ne sait que faire.» Ce sommet «ne veut pas affronter la population mais ne veut pas non plus mettre le Président à la porte», comme le réclame la foule, estime Tewfik Aclimandos. — «Gagner du temps», pour négocier une sortie honorable du Président et les conditions d'une transition. Malgré sa culture du secret, l'appareil militaire laisse filtrer certaines tensions. Le vice-président Souleimane, 74 ans, est bien vu des Américains et des Israéliens, mais, ancien chef des services secrets, il incarne aussi l'héritage de M. Moubarak face à de jeunes officiers qui pourraient vouloir jouer un rôle plus important.