Persécution n On la taquinait, on lui lançait des pierres, sous le regard amusé des adultes, qui ne voyaient pas malice dans ce qui était pourtant des persécutions. Il y a de cela longtemps, vivait dans un village reculé des Aurès, une jeune fille qui s'appelait Aïcha. Elle était assez jolie, mais la pauvre fille était un peu simple d'esprit, surtout très naïve, ce qui lui a valu le surnom de tabahlult, en berbère local, «la folle». En fait ce mot est également connu des arabophones, bahloul, féminin bahloula, et il a été porté par un saint maghrébin très connu, Sidi Bouhloul, qui avait justement la caractéristique de vivre dans l'excentricité, ce qui a fait croire qu'il avait l'esprit dérangé. Le mot est encore utilisé aujourd'hui, aussi bien en arabe qu'en berbère, et on en a tiré un verbe behlel : «être excentrique, avoir une tenue dépenaillée, faire le fou, etc». Voilà donc Aïcha Tabehloult, belle mais idiote. Si certains la plaignaient, d'autres – et il faut dire qu'ils étaient nombreux, la détestaient. Il est vrai qu'elle avait la manie de poser des questions idiotes et de se comporter comme un enfant. Les enfants, eux, se moquaient d'elles. Dès qu'elle passait, ils se mettaient à crier : «Aïcha la folle ! Aïcha la folle !» On la taquinait, on lui lançait des pierres, sous le regard amusé des adultes, qui ne voyaient pas malice dans ce qui était pourtant des persécutions. Certains intervenaient parfois. — Laissez cette pauvre fille, elle ne vous a rien fait ! D'autres haussent les épaules. — Il n'y a pas de mal à la plaisanter ! — On lui jette des cailloux, on peut la blesser ! — Ce n'est qu'un jeu ! Mais un jeu dangereux. En effet, à plusieurs reprises, Aïcha a été blessée. Plus d'une fois, elle est revenue chez elle, le visage en sang. — Que t'est-il arrivé ? Elle se met à pleurer. — On m'a lancé des pierres ! — Et qu'as-tu fait pour qu'on te lance des pierres ? — Je n'ai rien fait ! On la gronde quand même. — C'est ta faute ! Si tu ne te comportais pas comme une idiote, on ne se moquerait pas de toi, on ne te frapperait pas ! Elle répète : — Ce n'est pas ma faute. Mais on ne s'intéresse pas à elle. Alors, elle redouble d'excentricité. Elle s'habillait mal, elle allait tête nue, folâtrait dans les champs. C'est à croire que la folie l'autorisait à faire ce qu'elle voulait ! — Aïcha, arrête de faire la folle ! Elle roule des yeux, elle tire la langue... — Je ne suis pas folle ! (A suivre...)