M. Parker enfile son pyjama et, tout en bâillant, s'assoit devant son matériel de radioamateur. Il a l'intention de contacter un correspondant en Australie. M. Parker, célibataire, âgé de trente-deux ans, dirige un petit laboratoire pharmaceutique. Il est vingt-trois heures lorsque, sur la fréquence 27,15 mégahertz, ne tenant qu'un écouteur sur son oreille gauche, il entend distraitement une voix d'homme grogner assez clairement : «Soyons sérieux, les enfants, il y a 300 millions pour nous là-dedans !» M. Parker, intrigué, se coiffe cette fois de ses deux écouteurs et manipule son récepteur pour mieux entendre une voix d'homme qui interrompt le premier : «Mais bon sang ! dit cette voix. Ne faites pas autant de bruit, faites gaffe, le quartier devient calme, la circulation a baissé.» M. Parker s'assoit sur son lit, toujours relié au récepteur par ses écouteurs. Il est tellement passionné par la radio que son matériel est installé dans sa chambre, à portée de sa main. Pour le moment, il n'entend plus rien sur la fréquence 27,15 mégahertz : les deux hommes se sont tus, mais M. Parker, qui n'en croit pas ses oreilles, attend la suite. Cari ! n'y a pas de doute, il ne voit pas d'autre explication à cette brève conversation : les deux hommes sont en train de préparer un hold-up. Et pas une petite affaire : 300 millions de livres, c'est 3 milliards de centimes. Or, la veille encore, M. Parker a lu dans le Daily Mail que les compagnies d'assurances, après l'attaque du train postal et devant la recrudescence des attaques de banques, annonçaient qu'elles paieraient des primes énormes, allant jusqu'à 10% de la somme convoitée par les gangsters, à toute personne qui ferait échouer un hold-up. Dix pour cent de 3 milliards de centimes, cela fait 300 millions de centimes, 3 millions de nouveaux francs. Il est maintenant 23h 10, le samedi 11 septembre 1971, la conversation des gangsters reprend. Et M. Parker, qui habite non loin de Becker Street, se cramponne à ses écouteurs, en pensant à ses 3 millions. A 23 h 15, M. Parker appelle la police. «Allô ! Le commissariat de Becker Street ? — Yes sir, répond une voix fatiguée. — Est-ce que votre chef est là ? — Non, il n'est pas là. Mais il n'y a peut-être pas besoin de lui : de quoi s'agit-il ? — Voilà. Je suis radioamateur. Je voulais appeler un correspondant en Australie et puis sur la fréquence de 27,15 mégahertz, je viens de tomber sur une conversation bizarre. — Ah ! oui, et quel genre de conversation ? — Eh bien, je crois que ce sont des gens qui préparent un hold-up. — Tiens, tiens... — Un hold-up important. 300 millions de livres. — Et ils vous ont dit ça dans le poste ?» La voix au bout du fil a l'air de se payer sa tête. «Mais c'est très sérieux. Il s'agit très certainement de gangsters qui communiquent par messages radio. Si vous ne me croyez pas, venez l'écouter vous-même ; d'ailleurs j'enregistre tout sur magnétophone. — Et où il se passerait, votre hold-up ? — Mais tout près de chez vous. Dans le quartier, probablement sur Becker Street : on entend très bien les bruits de circulation des autobus. — Et qu'est-ce qu'ils disaient, ces gangsters ?» Lorsque M. Parker rapporte la conversation qu'il a entendue et qu'il entend encore en ce moment même, l'agent, au bout du fil, conclut : «Oui. Ce n'est pas convaincant ! Ces gens-là parlent peut-être d'autre chose. Il faudrait en savoir un peu plus. Si vous le voulez, continuez à enregistrer et rappelez-nous si c'est intéressant.» (A suivre...)