Détermination n Ni les balles, ni la brutalité de la police, ni les charges de ses supplétifs ne changeront le cours de l'histoire. Qu'on l'appelle insurrection ou révolution, le printemps arabe est certainement l'événement majeur de ces dix dernières années. Personne ne l'avait prévu et encore moins vu venir. Pas même les services de renseignements occidentaux et leurs chancelleries, pourtant parfaitement installés dans ces pays et souvent au courant des moindres gestes de leurs dirigeants et des préoccupations de leurs peuples. Mais il faut croire que ces derniers comptaient pour du beurre. L'ambassadeur de France à Tunis a d'ailleurs fait les frais de la révolte du Jasmin, qui a pris de court non seulement l'Elysée mais Washington elle-même. Il ne sera pas le seul dans cette affaire puisque son ministre de tutelle, Mme Alliot-Marie qui dirigeait le Quai d'Orsay, avait naïvement demandé à l'Assemblée nationale l'envoi d'un contingent de policiers français pour aider le régime de Ben Ali. C'était l'erreur qu'il ne fallait pas commettre. Paris, à l'évidence, n'avait pas mesuré toute la dimension d'un soulèvement profondément populaire. Il surprendra même le nouvel ambassadeur fraîchement nommé. Il sera hué par la foule qui réclamera son départ et donc sa tête. Le bateau Ben Ali réputé à toute épreuve et gouverné par une main de fer censé contenir n'importe quelle vague islamiste, prenait finalement l'eau. Un peuple déterminé dont on découvrait brusquement la soif de liberté, et décidé à aller jusqu'au bout de son rêve, investira les rues, les villes et les places publiques avec pour seul mot d'ordre «Ben Ali dégage». Ni les balles, ni la brutalité de la police, ni les charges de ses supplétifs ne changeront désormais le cours de l'histoire. Un énorme rempart tombait entraînant dans sa chute son propre architecte. Le monde entier se rendait compte presque incrédule de quatre choses : la première est qu'un peuple arabe était encore capable, après 20 ans de chloroforme politique et de privations, de se débarrasser de son dictateur. La seconde est qu'il était aussi capable de vaincre sa peur, de briser le silence et de faire des sacrifices. Des centaines de morts ont été dénombrés au cours de cette révolution, dont celle charismatique du martyr Bouazizi par qui tout est arrivé. La troisième et contrairement à ce que prétend Ben Bella, les Tunisiens ne sont pas des poules mouillées, ils l'ont prouvé et ont su mourir bravement. La quatrième enfin est qu'un peuple arabe longtemps bâillonné comme le peuple tunisien, a su merveilleusement résister aux chants des sirènes. Il n'a pas foncé tête baissée par exemple dans le piège des coteries partisanes, des querelles de chapelle et des vengeances sans lendemain. Il a simplement mis en garde les nouveaux dépositaires de la souveraineté nationale contre la tentation de gouverner en dehors de lui ou de gérer le pays en s'appuyant sur les technocrates de l'ancien régime dussent-ils être blancs comme neige. Et pour le montrer, il a défait plusieurs ministres et fait tomber deux Premiers ministres. Au Yémen, à 6 heures de vol de Tunis, c'est le même combat contre la même dictature, celle de Saleh au pouvoir depuis plus de 30 ans. Pour se débarrasser de lui et de tout ce qu'il représente, des milliers de citoyens manifestent chaque jour dans les rues de Sanaâ et d'autres grandes villes du pays, n'hésitant pas à affronter les chars et les snipers embusqués. Des centaines de victimes ont été dénombrées dans ce face-à-face inégal depuis le mois de mars. Quelle belle leçon pour le reste du monde que cette image de bédouins en colère bravant la mort, alors que le système en place les a toujours drogués et endormis aux herbes hallucinogènes.