Dans la salle des Assises de Munich s'installe un grand silence. Tous les regards se tournent vers Françoise Bruckenau, la jeune femme qui risque la détention à perpétuité pour avoir tenté de tuer son amant Erni Schmidt en l'écrasant avec sa voiture. Or le président grisonnant et sage, à la demande de son avocat, vient d'autoriser l'accusée à faire une déclaration importante dès le début du procès. Françoise se lève donc et se tourne vers les jurés, dans le froissement d'un grand foulard de soie. Elle apparaît, petite et mince dans une robe sombre où brillent des boutons de nacre. Visage osseux, un peu dur, mais grands yeux malicieux et longs cheveux bruns, on ne peut prétendre qu'elle est jolie mais les jurés doivent penser qu'elle a du charme. «Je voulais dire, explique-t-elle d'une voix grave, un peu rauque, qu'Erni et moi nous sommes réconciliés. Et que tout va de nouveau comme il faut dans notre couple.» Le petit président grisonnant et sage, étonné, s'adresse au témoin principal de l'accusation, c'est-à-dire l'amant : un jeune homme sympathique aux traits réguliers bien qu'un peu mous, assez élégamment vêtu pour un conducteur de poids lourds. «Est-ce exact ?» demande le juge. Le jeune homme répond d'un signe de tête affirmatif. «Veuillez répondre à haute et intelligible voix, s'il vous plaît. Confirmez-vous la déclaration de l'accusée ? — Oui monsieur le président.» Sur le front du président surgissent trois rides qui trahissent son souci. Il tourne vers le jury un œil gêné. Quant aux regards des sept jurés, ce sont sept points d'interrogation. Que va-t-il se passer si le principal témoin de l'accusation change de camp ? Voilà un procès qui commence d'une façon bizarre ! C'est alors que tous les visages se tournent cette fois vers la gauche du prétoire d'où s'élève un rire sardonique : c'est le procureur. Pour le moment on ne voit de lui que son crâne chauve soigneusement passé au papier de verre. Ses épaules sont agitées de petits soubresauts tandis qu'il s'esclaffe en compulsant ses dossiers : «N'importe quoi ! Ces avocats inventent n'importe quoi !» Puis, relevant la tête qu'il a carrée, autoritaire mais toute pétrie d'humour, il s'adresse à son témoin défaillant : «Bravo monsieur Schmidt ! Vous pratiquez le pardon des injures ?» Le président est outré et la salle frémissante d'indignation lorsqu'il ajoute : «Vous n'avez pas honte ? Elle vous écrase ! Vous faites trois mois d'hôpital, et vous voilà aux pieds de votre maîtresse ? Je sais que c'est la mode de la servitude masculine mais tout de même il y a des limites...» Là-dessus, tandis que le président lui fait un signe discret de modération, il chausse ses lunettes et se rassoit, ravi, pour écouter le résumé des faits, dont se charge le président d'une belle voix grave assez inattendue : «Accusée, vous aviez dix-huit ans lorsque vous avez connu Erni Schmidt, chauffeur de camion qui en avait dix-neuf. Il était le premier homme de votre vie et vous avez vécu ensemble contre la volonté de vos parents. Neuf mois plus tard, vous mettiez un enfant au monde. Mais vous n'aviez pas le goût de la vie de famille comme l'aurait aimé votre compagnon.» Le président s'arrête en voyant la jeune accusée s'agiter dans son box : «Vous n'êtes pas d'accord ?» Françoise qui ne semble pas tellement émue se dresse avec autorité : «Nous nous sommes unis parce que nous nous aimions, monsieur le président. Et l'amour n'a rien à voir avec la vie de famille.» (A suivre...)