Résumé de la 1re partie n Devant le juge, Benito Pascual dit ne pas comprendre pourquoi il a tué son ami, Francisco Berguez, comme lui balayeur... Ah ! s'il était bourgeois, ou marquis, ou notable de Madrid, on chercherait à éclaircir son mobile, on lui parlerait sentiments, intelligence, remords, et il répondrait avec dignité, clairement, comme les gens qui ont fréquenté l'école. Mais lui, Benito, le balayeur, s'il sait lire et écrire tout juste, il ne sait pas parler, du moins à ces gens-là. Il est devant eux, comme son copain Francisco, celui qu'il a tué de ses propres mains. Francisco, lui, ne parlait qu'à son balai, c'était le seul «être» capable de l'écouter des heures. Et Benito se moquait de lui, quand il le surprenait. D'ailleurs, tout a commencé à cause de cela. Benito se souvient : «Monsieur le juge, Excellence, c'est à cause du balai ! Je peux dire ? Je peux ? Vous me croirez ?» Le juge hoche la tête. Il est là pour instruire un dossier, et pour écouter le coupable. Il est de son devoir d'écouter. Même s'il est persuadé d'avoir affaire à un demeuré. Benito réfléchit, il se frotte le visage et le crâne, avec ses deux mains calleuses. Les menottes font un cliquetis dans le silence. «C'est le balai. Il lui parlait tout le temps. Francisco, c'est un timide, il n'a pas de famille, il n'a jamais été à l'école. Moi j'y suis allé, je sais lire le journal, et je sais écrire une lettre. Je ne suis pas timide ; Francisco, lui, il racontait des histoires à son balai. «Il voulait se marier, il aurait bien aimé avoir une femme, seulement il n'osait pas. Il était trop vilain. Alors un jour je lui ai dit : «Francisco, ton balai ne peut rien pour toi. Ce n'est pas un balai magique. Si tu veux une femme, il faut aller la chercher.» Quand je lui disais ça il me tapait dessus, il avait de la peine. Une fois, je l'ai emmené voir les filles, et il s'est sauvé. Le lendemain, je l'ai entendu qui racontait ça à son balai, il disait : «Benito ne comprend pas. Je veux l'amour. Lui, il est bête. Moi je suis amoureux. Je veux une femme avec des cheveux longs, et une belle robe, pour aller sur la promenade.» Monsieur le juge, il était pas intelligent comme vous, Francisco. Il était bête. Mais moi j'ai vu qu'il était malheureux, alors j'ai voulu lui faire plaisir, je lui ai dit comme ça : «Je connais une fille, elle habite à Reymat, le village voisin. Son père est veuf et riche, et la fille est belle. Je sais qu'elle veut se marier avec un homme sérieux et travailleur, comme toi !» — Où est cette fille ? — J'ai menti, monsieur le juge, elle existe pas. C'est moi qui l'ai inventée. J'ai dit à Francisco : «Elle s'appelle Soledad Perez, si tu veux je lui écrirai pour toi.» — Et tu as écrit à quelqu'un qui n'existait pas ? — J'ai écrit beaucoup de lettres. On s'asseyait devant la cathédrale, et j'écrivais des lettres d'amour, c'était pas facile au début, mais après j'ai copié dans les romans-photos. Toutes les semaines, on envoyait une lettre à Soledad Perez et un jour j'ai écrit une réponse. Je l'ai lue à Francisco, il était si content. — En somme, tu lui as fait croire qu'elle était amoureuse de lui et il ne s'est aperçu de rien ? — Mais non, j'étais malin. Quand j'écrivais pour lui, j'écrivais avec des grosses lettres, des majuscules. Je lui disais que les hommes devaient écrire comme ça, que c'était plus sérieux, et puis quand je faisais les réponses, j'écrivais avec des petites lettres, comme à l'école. — Qu'est-ce que tu espérais ? Qu'il donnerait son argent pour organiser le mariage ? Et que tu filerais avec ? C'est ça ? — Je jure que non, monsieur le juge, devant Dieu, je jure ! A suivre Pierre Bellemare