— Quoi de neuf, ce matin, Miss Lemon ? demanda Hercule Poirot en entrant dans son bureau. On pouvait avoir confiance en Miss Lemon. Elle manquait d'imagination, mais son instinct lui permettait de toujours trouver le détail intéressant. C'était une secrétaire-née. — Pas grand-chose, monsieur Poirot. Une lettre, peut-être, qui vous intéressera. Je l'ai mise au sommet de la pile. Poirot fit un pas en avant. — Et de quoi s'agit-il ? — D'un homme qui aimerait vous voir faire une enquête au sujet de la disparition du pékinois de sa femme. Poirot interrompit brutalement son mouvement, un pied encore en l'air. Il jeta à Miss Lemon un regard de doute et de reproche. Elle ne le remarqua pas, elle tapait à la machine avec la précision et la rapidité d'un char faisant feu de toutes pièces. Poirot était stupéfait. Stupéfait et peiné. Miss Lemon, l'indispensable Miss Lemon, l'abandonnait. Un chien. Un pékinois ! Et ceci après le rêve qui avait embelli sa dernière nuit. Il quittait Buckingham Palace, chaleureusement félicité, lorsque son valet était entré dans sa chambre, lui apportant son chocolat matinal. Des mots durs et sarcastiques lui vinrent aux lèvres. Il ne les prononça pas. Miss Lemon, toute à son travail, ne les aurait pas entendus. Avec un grognement de dégoût, il s'empara de la lettre qui couronnait la pile de courrier placée sur son bureau. Miss Lemon n'avait pas plaisanté. Il s'agissait de l'enlèvement d'un pékinois. De l'un de ces petits monstres aux yeux globuleux, honteusement gâté par une femme trop riche. Hercule Poirot fit une moue de dédain. Rien de remarquable, une lettre tout à fait ordinaire rédigée en style commercial. Miss Lemon avait raison, cependant. Un léger détail rendait la chose insolite. Hercule Poirot s'assit et relut la lettre avec attention. Ce n'était pas, et de là venait sa réticence, l'un des travaux d'Hercule... mais cependant... Il se décida : — Voulez-vous appeler ce sir Joseph Hoggin, je vous prie, et lui demander un rendez-vous pour moi, dit-il du haut de sa voix pour couvrir le bruit de la machine. Comme d'habitude, Miss Lemon avait vu juste. — Je suis un homme simple, monsieur Poirot, furent les premiers mots de sir Joseph Hoggin. De la main droite, Hercule Poirot ébaucha un geste peu compromettant. On pouvait y lire une muette admiration pour la situation de sir Joseph et sa manière de présenter les choses. Ou encore, pourquoi pas, une manifestation de doute. En effet, songeait-il, sir Joseph était simple, d'une simplicité confinant à la laideur. Son regard critique parcourut les joues tombantes, les petits yeux de porc et la bouche aux lèvres pincées. Ce visage lui rappelait quelque chose, ou quelqu'un – mais, sur le moment, sa mémoire lui fit défaut. Qu'était-ce ? La Belgique... une affaire liée à l'idée de savon... ... Je ne fais pas de manières, moi, poursuivit sir Joseph. Je ne tourne pas autour du pot. Beaucoup de gens, monsieur Poirot, n'auraient pas donné suite à cette histoire. On tire un trait et on oublie, mais ce n'est pas le genre de Joseph Hoggin. Je suis très riche et deux cents livres ne représentent rien pour moi. — Je vous en félicite. — Hein ? Sir Joseph s'interrompit un instant. Ses petits yeux porcins se rapetissèrent davantage et il reprit avec hargne : — ... Cela ne veut pas dire que j'aie pour habitude de flanquer l'argent par les fenêtres. Quand je veux quelque chose je l'achète. Mais au cours normal. — Savez-vous que je suis très cher ? fit remarquer le détective. — Oui. Mais c'est une affaire insignifiante. Poirot haussa les épaules. — Je ne discute jamais. Je suis un expert et les services d'un expert se payent. (A suivre...)