Defi - Vainqueurs des élections en Tunisie, les islamistes d'Ennahda vont devoir maintenant se frotter à l'exercice du pouvoir après des décennies de clandestinité. Sans expérience de gouvernement, les islamistes vont diriger le prochain Exécutif dans un contexte post-révolutionnaire délicat : l'économie tunisienne est en berne, le taux de chômage officiel est de 19% et les attentes sociales sont très fortes. «C'est un vrai défi pour eux. Ils n'ont pas d'expérience et ont tout intérêt à partager le fardeau avec les autres partis dans un gouvernement de coalition nationale», souligne Kamel Ben Younes, rédacteur en chef de la revue Etudes internationales de Tunisie. «Pour la plupart d'entre eux, les responsables islamistes viennent de prison, d'exil, ou de l'ombre», relève l'éditorialiste du quotidien La presse, Abdellatif Ghorbal. «Ils auront à découvrir l'envers du décor», écrit-il, citant «le pouvoir et ses fastes, le poids des responsabilités, l'argent et les tentations, l'ampleur des problèmes et l'urgence des solutions à y apporter». «D'un autre côté, ce ne sont pas des débutants. Nombre de leurs cadres moyens et intermédiaires occupent de hauts postes dans l'administration et sont connectés avec la réalité», relève Kamel Ben Younes. La parfaite organisation d'Ennahda, démontrée pendant la campagne électorale, son habileté politique : messages rassurants, mise en avant de personnalités «modernes» et charismatiques, à l'instar du potentiel futur Premier ministre, Hamadi Jebali, est unanimement saluée, même chez ses détracteurs. «Ils ont effectué une excellente campagne de terrain en allant sur tout le territoire à la rencontre des Tunisiens, en prônant sans cesse un discours rassembleur et rassurant», relève l'Observatoire politique tunisien, un blog créé après la révolution pour scruter les partis de la nouvelle scène politique tunisienne. «La fibre identitaire a joué un rôle très important dans cette élection», décrypte pour sa part Slah Jourchi, politologue spécialiste des mouvements islamistes, et candidat malheureux sur une liste indépendante. Absents de la scène politique tunisienne pendant des décennies en raison de la répression dont ils ont été victimes, les islamistes constituent pourtant «un mouvement ancien, bien enraciné dans la société, très proche des gens», souligne-t-il. Et les craintes, réelles, d'une partie de la société tunisienne, sincèrement effrayée par la montée des islamistes, n'ont pas eu d'écho. «Nos intellectuels ont pensé qu'en posant les questions de la laïcité ou de la sécularisation de la société tunisienne ils allaient déstabiliser Ennahda. Mais c'est Ennahda qui a gagné la guerre culturelle», estime Jourchi. «La langue, la religion, la culture, le patriotisme : les islamistes se sont approprié ces symboles auxquels la majorité de la population est très attachée», commente pour sa part le sociologue Salem Labieh. Reste qu'un discours moral et identitaire ne fait pas un programme de gouvernement. Et les islamistes seront attendus au tournant, notamment sur leur promesse de création de 590 000 emplois au cours du prochain quinquennat», inscrit dans leur programme électoral. Sidi Bouzid s'enflamme après les résultats des législatives La tension restait vive hier, vendredi, à Sidi Bouzid, au centre-ouest du pays, malgré l'instauration d'un couvre-feu après des violences ayant suivi l'annonce des résultats de l'élection en Tunisie. Outre la mise à sac du local du parti islamiste Ennahda, vainqueur du scrutin, des jeunes cagoulés ont incendié le tribunal local, des postes et un district de la gendarmerie et ont saccagé un centre de formation professionnelle. Ces violences ont éclaté après l'annonce de l'invalidation de six listes de Hechmi Haamdi, richissime homme d'affaires qui avait notamment remporté la circonscription de Sidi Bouzid. Des membres du arch (tribu) de cet homme ont été vus à la tête des manifestants, ainsi que des figures de l'ancien parti-Etat de Ben Ali, (RCD, dissous) soupçonné d'être derrière le succès inattendu de «La pétition populaire» de Hechmi Haamdi.La «Pétition populaire» de Hechmi Haamdi, a remporté 19 sièges dans l'Assemblée constituante, mais elle a été invalidée dans six circonscriptions, notamment à Sidi Bouzid, où elle était arrivée en tête à la surprise générale. Absent sur terrain, Hechmi Haamdi, originaire de Sidi Bouzid, a fait campagne depuis Londres par le biais de sa télévision satellitaire Al-Mustakilla. Sur cette chaîne, il a dit «craindre» que son électorat ne manifeste sa colère après le refus d'Ennahda d'associer cette liste aux tractations en cours pour la formation d'un futur gouvernement. Il a annoncé le retrait définitif de «la Pétition populaire» de l'assemblée.