L'un est mort de dépit le 2 juin 1978 et l'autre assassiné le même jour, 25 ans plus tard, en 1993. Malek Haddad et Tahar Djaout, diseurs devant l'éternel, poètes désabusés par tant de promesses non tenues, tant de parjures et cet inceste fait à la mère patrie qui a vu ses propres fils devenir des bandits de petits chemins, des égorgeurs de la nuit, ceux-là «dont tremble un poignard quand leur main l'a touché», comme disait Aragon, grand ami de Malek Haddad. On commémore leur tragique disparition sur un air d'oubli, la tendance étant à l'amnésie. Quelques lignes pour Malek, un paragraphe pour Tahar et sa dégaine souriante. Ils furent pourtant prolifiques et surtout prémonitoires puisque le premier a commis un Je t'offrirai une gazelle et l'autre Les vigiles dans un pays qui bien des années plus tard traque les gazelles poursuivies sans relâche par les vigiles. L'autre, Tahar, qui portait son prénom comme on porte une pureté, s'est même fait chercheur d'os avant de se transformer en chercheur de poux dans la tête des messies. Et c'est sa tête qu'il joua en ce jour de mai écrasé de soleil. Ses assassins qui visèrent la tête diront à leur procès : «Sa plume faisait mal.» Son aîné Malek qui contamina de la maladie d'écrire ce Yasmina Khadra aujourd'hui mondialement connu, mourut à petit feu entre mille rêves caressés à Paris à écluser, sur un zinc poisseux, ce rosé fatidique et à Constantine là où il attendit vainement que le quai aux fleurs daignât lui répondre. Ils sont partis tous les deux un mois de juin. Pauvre Tahar ! L'on se rappelle encore et toujours que même la salle des conférences qui était dévolue à un débat à ta mémoire, n'était pas disponible. Puisque même mort, tu déranges. Pauvre Malek ! Enterré quelque part dans cette ville que tu chantas tant, entre un géranium et mille complaintes. Trente-quatre ans pour l'un et dix-neuf ans pour l'autre. Et un siècle d'oubli. Enfin, de quoi je me mêle ? Khelli l'bir beghtah.