Tout à fait au début, les ours étaient roses parce qu'ils n'avaient pas de fourrure. Et c'était bien pratique pour se gratter la peau contre le tronc écailleux des arbres. Ils n'avaient pas de fourrure parce qu'il faisait très chaud, comme il peut faire chaud en Afrique. C'était en Afrique. — Eh ! Les ours ne vivent pas en Afrique ! — Plus maintenant, mais au début, oui. Ecoute... La première goutte de la première pluie du premier jour tomba en Afrique sur la première graine de la première plante. Cette plante était un arbre à ours. Un oursier. Par parenthèses, l'oursier donne des oursons et non pas des oursins comme on le croit souvent. Les oursins vivent dans la mer, ils piquent très fort. Pas les ours. Tous les ours vivaient contents parmi les plantes et les animaux que les autres gouttes de la première pluie avaient fait éclore. Ils mangeaient des fruits bien mûrs et se faisaient bronzer au soleil africain. Comme la vie était douce ! Cela aurait pu durer longtemps... Mais un jour arriva l'escargot, tout essoufflé d'avoir rampé cinq ou six siècles pour visiter le monde, avec sa maison sur le dos. Il était affamé. Comme il n'était pas assez grand pour cueillir quelque chose à manger, les cornes en bataille, il se jeta sur le fruit qu'un ours tenait dans sa patte. — Attention, petite chose, dit l'ours, j'aurais pu t'écraser ! L'escargot est orgueilleux. Il se sentit tellement vexé d'être appelé «petite chose» qu'il ne trouva d'abord rien à dire. Puis, considérant l'ours et sa belle couleur rose il se mit à ricaner : — Gros patapouf ! Tu n'as pas honte de te promener tout nu ? — Je ne suis pas tout nu ! dit l'ours. — Si, tu es tout nu ! Hein, les autres, qu'il est tout nu ? cria l'escargot, se tournant vers les autres animaux qui, jusque-là, n'avaient rien vu, mais étaient prêts à rire aux dépens d'un autre. Ils commencèrent à chanter en chœur : — Il est tout nu - u ! Il est tout nu - u ! — Tous les ours sont nus, et c'est honteux ! hurla l'escargot. Vous devriez partir, très loin et très vite. — Vous croyez ? demandèrent les ours tout étonnés. — Absolument, ab-so-lu-ment ! répondirent les autres en se roulant par terre à force de rire. Donc, les ours s'en allèrent tous. Lorsque la lune remplaça le soleil dans le ciel, ils n'étaient pas revenus... Les animaux attendirent encore, mais le lendemain les ours n'étaient toujours pas là. Les animaux commencèrent à penser qu'au lieu d'avoir fait une bonne blague, ils avaient fait une grosse bêtise ! Quand la pluie revint en Afrique elle s'étonna de ne voir aucun ours. — Où sont les ours ? demanda-t-elle à tous les vents. Les animaux baissèrent la tête, honteux, et n'osèrent pas parler. Les cigognes revenant du grand Nord lui donnèrent enfin des nouvelles : — Les ours sont dans la grande forêt, près des glaces éternelles. Les fourmis à leur tour, racontèrent à la pluie comment l'escargot s'était moqué des ours et pourquoi ils étaient partis. Alors la pluie, très en colère, dit : — Escargot ! Je te condamne à ne sortir de ta coquille que quand je serai là pour te surveiller. (A suivre...)