Débat n La pensée de Frantz Fanon fait l'objet d'un débat, à l'occasion d'un colloque ouvert, hier, à l'auditorium du théâtre de verdure Laâdi-Flici. Durant cette rencontre internationale de trois jours les participants vont répondre à la question récurrente, à savoir «Les écrits de Frantz Fanon peuvent-ils nous aider aujourd'hui à comprendre le monde actuel et les enjeux auxquels les pays du Sud et l'ensemble de l'humanité sont confrontés ?» Les participants vont, lors de ce colloque, ayant pour thème «Esprit Frantz Fanon», tenter effectivement de replacer la pensée de l'auteur des ‘Damnés de la Terre' dans le contexte d'aujourd'hui et écouter ce qu'il a à nous dire. Car, selon les organisateurs, l'œuvre magistrale et universelle à la fois de Frantz Fanon, est d'actualité, son discours nous interpelle et nous pousse à nous interroger sur notre réalité. Samir Amin, un économiste égyptien, a abordé, dans son intervention, l'une des œuvres majeures de Frantz Fanon, ‘Les damnés de la terre' qui, selon lui, «explicite sa vision de la révolution nécessaire pour sortir l'humanité de la barbarie capitaliste», avant de poursuivre : «Fanon avait parfaitement compris que l'expansion capitaliste était fondée sur la dépossession des peuples d'Asie, d'Afrique, d'Amérique latine et des Caraïbes, c'est-à-dire de la majorité écrasante des peuples de la planète. Que les victimes majeures de cette expansion – les damnés de la terre – étaient donc ces peuples appelés par la force des choses à la révolte permanente et légitime contre l'ordre mondial impérialiste...» Ainsi, Samir Amin a exposé l'actualité de la pensée de Fanon en rapport avec les possibilités pour les pays émergents de faire face aux défis de la mondialisation. L'universitaire indien Aijaz Ahmed a, pour sa part, évoqué «la qualité prophétique de ses écrits», soulignant que «le temps lui a donné raison. Fanon avait prévenu contre les régimes totalitaires des partis uniques et du danger qui pouvait survenir pour ces pays indépendants qui n'avaient rien à gagner avec ces régimes...». «La pertinence des analyses de Fanon éclaire sur les risques d'effondrement des Etats nations au lendemain des indépendances si les élites ne jouent pas leur rôle», a-t-il ajouté. Pour le philosophe camerounais Bernard Founou, «Frantz Fanon avait le courage de dénoncer les missions soi-disant civilisatrices des colonisateurs, et sa pensée – pertinente et visionnaire – doit être, aujourd'hui, un exemple à suivre, voire une référence pour les penseurs afin de faire échec au néocolonialisme qui menace les pays du Sud.» Yacine Idjer l Ehsan Shariati, penseur iranien, a expliqué que «le retour à Fanon est une invitation au dialogue Nord-Sud entre intellectuels engagés, ainsi qu'un appel aux intellectuels des pays de la rive sud, l'ex-tiers-monde (dont ceux des pays musulmans) pour se frayer les chemins d'un dialogue direct entre eux, sans passer absolument par les penseurs occidentaux». La Française Mireille Fanon-Mendes-France qui n'est autre que la fille aînée de Frantz Fanon, a, pour sa part, mis le doigt sur «la faillite et la gestion catastrophique des indépendances dans les pays arabes et africains», estimant que cet échec est dû, en partie, aux élites locales qui ont ouvert la voie à la détérioration fondée sur une population méprisée et exploitée, ce qu'appelait son père «l'ordre colonial et ses supplétifs coloniaux». Plus qu'une simple commémoration, le colloque veut faire revivre la pensée et l'action de Fanon, qui portent en elles le souffle historique des luttes du peuple algérien et des autres peuples colonisés. Notons que ces rencontres sur Frantz Fanon se déclinant en colloque, activités littéraires et conférences-débats, sont prévues jusqu'au 12 juillet. Elles sont organisées à l'initiative des éditions Apic, avec le soutien de l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel (Aarc). Les organisateurs ont aussi prévu une résidence d'écriture autour de la pensée de Frantz Fanon, fervent militant de la cause algérienne. Y. I.