Aux commandes d'un gros avion de transport, le lieutenant Belin adresse un sourire à son supérieur, le capitaine de Brades ; la première partie de l'entraînement vient de se dérouler dans les meilleures conditions. En trois passages seulement, plus de neuf tonnes de matériel divers ont pu être larguées et trois longs chapelets de champignons blancs se répandent maintenant sur le terrain aménagé pour les exercices de parachutage. A présent, l'avion reprend de l'altitude, il s'agit de passer à la seconde phase de l'entraînement : après le matériel, c'est en effet le tour des hommes ! Bien alignés dans la carlingue, une vingtaine de parachutistes débutants s'apprêtent à sauter. Et quand retentit la sonnerie, ils se précipitent les uns derrière les autres dans le vide. Habituellement, les hommes sont lâchés par une porte latérale de l'appareil, mais aujourd'hui, histoire de corser un peu l'exercice, on les a fait sortir comme le matériel, par ce qu'on appelle la «tranche arrière», c'est-à-dire une porte béante sous la queue de l'avion. Une fois le lâcher terminé, le lieutenant amorce un grand virage. — C'est bien, mon capitaine. On rentre à Alger. — Mon capitaine ! Mon capitaine ! Le sous-officier qui accompagnait les paras vient d'entrer affolé dans la cabine de pilotage. C'est un jeune adjudant. — Eh bien, que se passe-t-il ? demande de Brades. — Mon capitaine, un homme est resté accroché à la queue ! «Accroché ?!» — Oui, mon capitaine, accroché ! Son parachute s'est pris : dans l'empennage, et maintenant nous le remorquons. Il a perdu son casque, mais il a l'air de tenir le coup ; en tout cas il bouge. De Brades avale sa salive. C'est la première fois de sa carrière qu'il traîne un homme derrière son appareil, à près de trois cents kilomètres à l'heure. — Dites moi : votre type, il a bien un parachute ventral ? — Bien sûr, mon capitaine. — Bon ! Alors tâchez de le convaincre de se décrocher – quitte à ce qu'il coupe la suspente... — Bien, mon capitaine. De Brades fit signe au lieutenant Belin de reprendre un peu d'altitude. Mais quelques secondes plus tard, le sous-officier parachutiste est de retour. — Il ne peut pas couper la suspente, mon capitaine, pour la bonne raison qu'il a perdu son couteau, dans la secousse. Au même moment, le lieutenant aux commandes fait un signe pour indiquer que l'appareil est un peu instable : la traîne qu'il emmène derrière lui ne doit pas améliorer son assise. Le capitaine de Brades soupire. Il appelle la tour de contrôle du terrain de La Sénia pour rendre compte de l'incident. Puis il se tourne vers son élève, le regard interrogateur. Le lieutenant Belin se racle la gorge. — S'ils nous envoyaient un autre avion, propose-t-il, ce serait le moyen le plus sûr de récupérer cet homme. — Et de le servir ensuite en hachis Parmentier, ironise le capitaine. Se tournant ensuite vers l'adjudant para : — Et vous, que proposez-vous ? demande-t-il. — Mon capitaine, j'ai une idée. Je n'ai qu'à m'accrocher au cadre par une longe et descendre le long de son parachute pour aller couper sa suspente. Après quoi je décrocherai la longe et redescendrai en parachute à mon tour. — Vous vous croyez au cirque ? Le capitaine de Brades n'est pas homme à fuir ses responsabilités et l'idée de risquer la vie d'un deuxième homme pour sauver le premier lui est étrangère. (A suivre...)