Nous sommes au mois de février 1985, au centre de la France. Charles et Yvonne circulent en voiture sur une route de campagne. Il fait nuit noire et la route est couverte de neige. Yvonne, pelotonnée contre son mari, lui murmure : — Fais attention au verglas. Au tournant, là-bas, il y en a souvent. — Mais oui, ma chérie, je fais attention. Ne t'inquiète pas. Nous sommes presque arrivés. — Oh ! Il fait un froid de canard ! J'ai hâte d'être au lit, bien au chaud. — On se fera un petit grog ! — Non, non, pas de grog. On a déjà assez bu comme ça. J'ai passé une soirée charmante chez Yvette et Ludovic, mais ça suffit pour ce soir. La voiture avance, pas trop vite. Soudain Yvonne pousse un cri : — Charles ! Attention ! Regarde ! Là ! Au milieu de la route ! Qu'est-ce que c'est ? Ils ont vite compris ce que c'est. C'est un homme, entièrement nu qui vient de se planter au milieu de la route départementale. II fait des gestes pour que l'automobile dont les phares l'éblouissent veuille bien s'arrêter. Charles, tout en freinant à mort, s'exclame : — Mais, ma parole ! C'est Francis ! — Tu le connais ? — Et comment. C'est Francis, l'employé de la station Total. Mais d'habitude il porte une salopette. C'est la première fois que je le vois à poil. — J'espère bien. La voiture vient de s'arrêter au ras des genoux de Francis, l'homme nu. Celui-ci se précipite vers la portière du conducteur : — Vite, laissez-moi monter. II y a quelqu'un qui veut me tuer. Emmenez-moi à la gendarmerie. — Eh Francis, calme toi un peu. C'est moi ! Charles Fontenac, le représentant de chez Michelin. Tu ne me reconnais pas ? — Euh ! Ah, c'est vous, monsieur Fontenac. Avec la lumière des phares je vous vois à peine. — Monte en vitesse. Tu dois te les geler dans cette tenue sous la neige. — Vite, vite démarrez ! Il est armé. Francis Lalonde ouvre la portière arrière et se glisse sur la banquette. Il claque des dents. Est-ce la peur ou le froid ? Ou les deux... Charles, en parfait homme du monde fait les présentations. — Tu connais mon épouse, Yvonne ? — Ah oui ! Excusez ma tenue. Je n'ai vraiment pas eu le temps d'enfiler quoi que ce soit. Yvonne répond, bêtement : — Ce n'est pas grave. J'en ai vu d'autres... Charles prend un air vexé : — D'autres quoi, si je peux me permettre ? — Je veux dire, mon chéri, j'ai vu des choses pires dans mon existence. N'oublie pas que je suis infirmière ! En attendant, ce garçon va attraper le mal de la mort. Même avec le chauffage. Charles, tu devrais lui prêter ta veste. Il ne peut pas se présenter comme ça chez les gendarmes. Charles, avant de redémarrer, passe sa veste au passager. — Alors, Francis. Qu'est-ce qu'on fait ? On va chez nous pour t'habiller ou bien on file chez les gendarmes ? — Je préfère aller chez les gendarmes. J'ai peur qu'il ne la tue. — Qu'il ne la tue ? Mais dis donc, ça m'a l'air très sérieux ton histoire. C'est indiscret de te demander des détails ? Yvonne dit : — Oui, tout à l'heure, quelqu'un voulait vous tuer. Et maintenant cette personne pourrait la tuer. Qu'est-ce qui se passe ? Francis reprend un peu son souffle : — Bon autant tout vous dire. J'ai un ticket sérieux avec Pierrette. Vous la connaissez : elle vend des pull-overs sur le marché. (A suivre...)